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“Aftersun” de Charlotte Wells



Film britanno-américain de Charlotte Wells (2022), avec Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall, Sally Messham, Spike Fearn, Ethan Smith… 1h42. Sortie le 1er février 2023.



Frankie Corio et Paul Mescal



Un père en vacances avec sa fille sous le soleil de l’Espagne. Insouciance et activités aquatiques sont de rigueur. Pourtant, petit à petit, cette réalité idyllique se nimbe d’un voile de brume qui va s’épaissir au point de devenir menaçant. Cette carte postale en trompe-l’œil reflète les souvenirs d’adolescence d’une jeune fille insouciante confrontée à une situation que seul le temps lui permettra d’envisager dans toute sa complexité. Sous les jeux d’eau et l’atmosphère joyeuse de ce club de vacances se cachait en fait la crise profonde que traversait l’homme qui l’a sans doute le plus aimée et qu'elle n'a pas réussi à sauver de ses démons. Révélé l’an dernier à Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique, Aftersun est un film en trompe-l’œil dans lequel une jeune femme se remémore un moment crucial de son existence où le temps semble s’être arrêté et que seule sa propre maturité lui a permis d’interpréter et de remettre en question. Devenue mère à son tour, elle réalise que derrière le bonheur simple de ces vacances passées en compagnie d’un homme peu volubile se jouait un véritable drame dont elle n’est pas parvenue à décrypter les stigmates.



Frankie Corio et Paul Mescal



Pour son premier long métrage, Charlotte Wells manifeste une maturité impressionnante qui confère à cette chronique en faux semblants une rare intensité. Le mérite en revient à un scénario construit comme une mise en abyme vertigineuse et servi par deux comédiens impeccables mais jusqu’alors peu connus. En lice pour l’Oscar du meilleur acteur grâce à ce rôle, Paul Mescal perpétue la tradition de ces acteurs britanniques tout-terrain qui excellent dans la composition, sans jamais trop en faire. Une retenue qui cadre idéalement ici avec le caractère introverti de ce personnage à la dérive, tiraillé entre l’amour absolu qu’il voue à sa fille et sa détresse intérieure indicible. Un homme en crise trop pudique pour gâcher l’insouciance des vacances en laissant affleurer le malaise existentiel qui le ronge… sinon dans une scène poignante au cours de laquelle il s’abandonne. Un véritable tour de force psychologique auquel il convient évidemment d’associer sa partenaire que Frankie Corio incarne avec l’insouciance de son âge, quitte à voir sa vie d’adulte hantée par les souvenirs enjolivés de ces vacances perçues rétrospectivement comme un calvaire intime et un compte à rebours tragique aux dégâts collatéraux irréparables qui laisse derrière lui des questions sans réponses.

Jean-Philippe Guerand









Frankie Corio

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