Accéder au contenu principal

“Vivre” d’Oliver Hermanus




Living Film britannique d’Oliver Hermanus (2022), avec Bill Nighy, Aimee Lou Wood, Alex Sharp, Adrian Rawlins, Oliver Chris, Michael Cochrane, Zoe Boyle, Tom Burke, Lia Williams, Richard Cunningham… 1h42. Sortie le 28 décembre 2022.



Alex Sharp



Étrange expérience que ce film qu’on croirait exhumé des rayons poussiéreux d’une cinémathèque, tant sa reconstitution du Londres de l’Après-Guerre s’avère stupéfiante de réalisme et ses sentiments d’une autre époque. Jusqu’au rendu des couleurs qui exalte ces employés coiffés de chapeaux melons et réfugiés derrière une dignité d’un autre âge. L’origine de ce film est encore plus déroutante, dans la mesure où il s’agit de la transposition à soixante-dix ans de distance de l’un des chefs d’œuvre les plus oubliés d’Akira Kurosawa par l’un de ses compatriotes de naissance, le romancier anobli Kazuo Ishiguro dont James Ivory et Mark Romanek ont respectivement porté à l’écran deux œuvres majeures : Les vestiges du jour (1994) et Never Let Me Go (2011). Vivre s’attache à un employé modèle qui semble avoir sacrifié les plaisirs de l’existence à son travail de fonctionnaire zélé et décide de rattraper le temps perdu au moment de la retraite, histoire de s’offrir la fantaisie qu’il n’a jamais connue, sous couvert de remplir le devoir monotone qui lui était imparti par ses fonctions hiérarchiques de chef de bureau. Un rôle en or pour celui qui l’incarne aujourd’hui dans un contre-emploi spectaculaire : le toujours pince-sans-rire Bill Nighy dont la retenue sied à son personnage ô combien énigmatique aux yeux de ses subordonnés.



Bill Nighy



Vivre est la chronique d’une résurrection. Celle d’un homme qui s’avise que la vie vaut la peine d’être vécue, au moment de tirer sa révérence et de goûter à une retraite bien méritée. Qui plus est un Civil Servant britannique dévoué à sa tâche auquel cette fantaisie tardive va ajouter une précieuse touche d’humanité. Bill Nighy n’éprouve aucune difficulté particulière à se glisser dans la peau de ce personnage confronté à la saveur tardive d’une fantaisie dont il semblait ignorer jusqu’à la tentation. Sans adopter l’apparence d’une fable morale, cette chronique de la grisâtre ordinaire s’impose par l’uniformité du monde qu’elle décrit : celui de la classe moyenne britannique qui semblait perpétuer une lointaine tradition à travers une routine contraignante. Olivier Hermanus excelle dans la description de cette vie de bureau où chaque employé n’est que le maillon d’une longue chaîne administrative invisible qui contribue à ordonner la société à travers ses rituels obscurs. Dès lors, le film assume sa facture vieillotte un rien déconcertante en dépeignant une société figée où le sens du devoir semble avoir pris le pas sur le droit au bonheur, incarné quant à lui par ces employés plus jeunes auxquels la guerre récente a sans doute inculqué une aspiration légitime au bonheur. Sous ses dehors délibérément désuets et le faste d’une reconstitution impressionnante, Vivre distille une philosophie de la vie qui mérite d’être méditée, tant elle relativise sa pérennité sans nous submerger sous les artifices d’une morale au rabais.

Jean-Philippe Guerand







Bill Nighy et Aimee Lou Wood

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Berlinale Jour 2 - Mardi 2 mars 2021

Mr Bachmann and His Class (Herr Bachmann und seine Klasse) de Maria Speth (Compétition) Documentaire. 3h37 Dieter Bachmann est enseignant à l’école polyvalente Georg-Büchner de Stadtallendorf, dans le Nord de la province de Hesse. Au premier abord, il ressemble à un rocker sur le retour et mêle d’ailleurs à ses cours la pratique des instruments de musique qui l’entourent. Ses élèves sont pour l’essentiel des enfants de la classe moyenne en majorité issus de l’immigration. Une particularité qu’il prend constamment en compte pour les aider à s’intégrer dans cette Allemagne devenue une tour de Babel, sans perdre pour autant de vue leurs racines. La pédagogie exceptionnelle de ce professeur repose sur son absence totale de préjugés et sa foi en une jeunesse dont il apprécie et célèbre la diversité. Le documentaire fleuve que lui a consacré la réalisatrice allemande Maria Speth se déroule le temps d’une année scolaire au cours de laquelle le prof et ses élèves vont apprendre à se connaître...