Nana Film indonésien de Kamila Andini (2022), avec Happy Salma, Laura Basuki, Rieke Diah Pitaloka… 1h43. Sortie le 21 décembre. 2022.
Happy Salma et Laura Basuki
Il existe une filiation évidente entre ce film contemplatif et certaines œuvres des cinéastes vietnamien Tran Anh Hung, hong-kongais Wong Kar-wai et thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. À travers le destin d’une bourgeoise remariée, la réalisatrice Kamila Andini évoque l’Indonésie de Sokarno, l’un des pères de l’indépendance de cette ex-colonie néerlandaise. Une nostalgie qui passe par un parti pris contemplatif et s’avère assez vite envoûtante par la place prépondérante qu’elle attribue aux rapports qu’entretiennent les autochtones avec la nature omniprésente. Il émane de ce tableau de mœurs subtil et élégant un charme insidieux qui permet à la réalisatrice d’aborder des thèmes de tragédie sur un ton feutré et en adoptant une esthétique d’une rare élégance. Par la grâce de cette mise en scène délicate qui préfère suggérer qu’exposer frontalement les effets de ses grands sentiments, Une femme indonésienne réussit à dire l’indicible avec une rare pudeur. Lointain écho à la nostalgie de cet Extrême-Orient immortalisé comme un paradis perdu par Marguerite Duras dans certaines de ses œuvres littéraires et cinématographiques voire par Joseph Conrad ou Graham Greene dans un esprit politique plus assumé. Il est question ici de la place assignée aux femmes dans une société patriarcale où leur rôle consistait essentiellement à assouvir le désir des mâles et à leur assurer une progéniture.
Happy Salma
La narratrice de cette histoire incarne par son destin l’éveil d’une conscience collective au sein d’une société corsetée. Séparée de son mari contre son gré, elle a refait sa vie avec un homme riche mais fidèle dont la maîtresse deviendra son alliée et sa confidente, en l’incitant à prendre son destin en main. À l’image de ce chignon défait qui reflète sa timide émancipation dans un contexte patriarcal qui tarde à se fissurer. Les rituels que décrit cette étude de mœurs d’une désuétude assumée évoquent un temps révolu qui va de pair avec une harmonie conjugale éphémère, une quinzaine d’années après l’indépendance. Ce drame bourgeois progresse à un rythme très lent. Comme pour éviter d’imposer aux yeux de l’extérieur le spectacle indécent des fêlures intimes. La réalisatrice Kamila Andini procède à petites touches en multipliant les infimes détails pour souligner le fossé qui se creuse et lézarde peu à peu ce couple de la grande bourgeoisie rappelé par son entourage à son devoir de sauvegarder les apparences. Une posture qui est moins le fait d’une civilisation réputée pour son élégance et sa pudeur que des conventions sociales en vigueur parmi sa caste qu’on retrouve à l’autre bout de la planète dans un film comme L’incompris (1966) de Luigi Comencini, qui se déroulait dans un cercle diplomatique peu ou prou à la même époque qu’Une femme indonésienne. Avec cette autre constante qui est le rôle ingrat dévolu aux enfants en tant que victimes collatérales de l’incompréhension de leurs parents trop absorbés par leurs propres problèmes pour mesurer leurs conséquences dévastatrices.
Jean-Philippe Guerand
Happy Salma et Rieke Diah Pitaloka
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