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“Les pires” de Lise Akoka et Romane Guéret



Film français de Lise Akoka et Romane Guéret (2022), avec Mallory Wanecque, Timéo Mahaut, Johan Heldenbergh, Loïc Pech, Mélina Vanderplancke, Esther Archambault, Matthias Jacquin, Angélique Gernez, Dominique Frot, Rémy Camus, François Creton… 1h39. Sortie le 7 décembre 2022.



Mallory Wanecque et Loïc Pech



Le cinéma est sans doute celui de tous les arts qui regarde le plus complaisamment son nombril. On ne compte plus les chroniques de tournage qui n’ont contribué bien souvent qu’à nourrir son propre mythe, de Boulevard du crépuscule (1951) de Billy Wilder à La nuit américaine (1973) de François Truffaut. Autant de deniers du culte qui ont contribué à substituer la légende à une réalité souvent plus prosaïque. L’originalité du premier long métrage des réalisatrices Lise Akoka et Romane Guéret est d’adopter le ton d’une de ces chroniques naturalistes comme le cinéma français en a le secret et d’établir ainsi une étrange transfusion entre la fiction du film proprement dit et l’histoire de celui dont on suit le tournage dans une cité déshéritée de Boulogne-sur-Mer où la bienveillance n’est pas toujours de mise. Avec, en guise de fil rouge, ce rapport ambigu qui s’instaure entre l’équipe parisienne et le milieu provincial défavorisé dans lequel s’inscrit la fiction dont on suit la fabrication.



Timéo Mahaut et Johan Heldenbergh



La réussite du film réside dans l’équilibre précaire qui s’instaure entre les uns et les autres assorti d’un véritable rapport de force qui ne s’assume pas en tant que tel. Les pires n’est pourtant jamais ni pontifiant ni méprisant, mais s’attache à une facette rarement évoquée de ce qu’implique toute œuvre artistique qui prend pour sujet l’être humain. Avec les responsabilités que cela implique… Ces gamins propulsés comédiens le temps d’un été, on les a croisés maintes fois à l’écran, du Voleur de bicyclette (1948) de Vittorio de Sica à La vie de Jésus (1997) de Bruno Dumont. La particularité des Pires est de souligner les conséquences que peut avoir un tel événement sur des êtres vulnérables, en l’occurrence ici socialement et économiquement. Sous couvert d’adhérer aux conventions de la comédie de mœurs, et en évitant de céder à la tentation du misérabilisme, le film s’attache à la responsabilité qu’exerce nécessairement l’artiste par rapport à son modèle quand ce dernier n’est pas professionnel. Un sujet passionnant mais au fond assez rarement évoqué à l’écran qui donne lieu ici à un traitement naturaliste qui confine à l’impressionnisme.



Mallory Wanecque



Le point de départ du scénario justifie pleinement son parti pris. En tournage dans une ville du Pas de Calais, une équipe de cinéma recrute ses interprètes parmi les autochtones, le casting privilégiant des personnalités pittoresques qui vont vivre là une expérience riche en sensations et entraîner le tournage dans une dimension inattendue. Cette comédie trompeuse et prometteuse n’a volé ni le Grand prix qui lui a été décerné à Cannes par le jury de la section Un certain regard, ni le Valois de diamant du meilleur film qu’il a reçu au festival d’Angoulême. Dans un style qui évoque le naturalisme cher à certains réalisateurs britanniques dont l'incontournable Ken Loach de Kes (1969), elle nous invite par ailleurs à une réflexion abyssale sur la fabrication du naturel et les devoirs moraux qu’implique celle-ci par sa façon de jouer avec les sentiments et les émotions, parfois au prix d’effets dévastateurs pour ceux qui ont cru possible de céder au miroir aux alouettes sans y sacrifier une partie particulièrement d’eux-mêmes.

Jean-Philippe Guerand







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