Accéder au contenu principal

“Les années super 8” d’Annie Ernaux



Documentaire français d’Annie Ernaux (2022), avec Annie Ernaux, David Ernaux-Briot, Philippe Ernaux… 1h01. Sortie le 14 décembre 2022.



Annie Ernaux



Destiné initialement à la chaîne Arte, le premier film d’Annie Ernaux se présente comme la chronique d’une époque où les femmes ne possédaient pas des droits égaux à ceux des hommes. Ce long métrage de tout juste une heure témoigne du mode de vie de la bourgeoisie française des années 70, à travers l’assemblage de “home movies” comme on en tournait alors dans les familles les plus aisées. Derrière les morceaux choisis de ce bonheur de vivre fugace affleure l’évocation saisissante d’une société feutrée qui perpétuait la tradition de ses ancêtres et tardait à récolter les fruits de la révolution soixante-huitarde sinon sur le plan des mœurs et devra attendre l’accession aux responsabilités de Françoise Giroud et Simone Veil pour délivrer peu à peu les femmes du carcan qui les reléguait encore à un statut subalterne par rapport à leurs compagnons. Sans adopter une posture politique ou sociale assumée à proprement parler, Les années super 8 se présente comme un constat implacable, sous l’effet des mots extraits de son journal intime que pose Annie Ernaux sur ces images d’un bonheur évanescent qui vibrent en écho d’un autre documentaire : J’ai aimé vivre là (2020) de Régis Sauder dans lequel ses écrits illustraient l’évocation de la ville nouvelle de Cergy.



David Ernaux-Briot



Un heureux télescopage de l’actualité voit coïncider la sortie de cette chronique intime dévoilée à la Quinzaine des réalisateurs, lors du dernier Festival de Cannes et diffusée sur Arte début septembre avec la remise officielle du Prix Nobel de littérature 2022 à Annie Ernaux. Un bonus évidemment appréciable pour cette tranche de vie d’une intimité extrême qui s’inscrit comme un nouveau chapitre à part entière d’une œuvre consacrée à chroniquer les injustices les plus criantes subies par la condition féminine, amplifiées aujourd’hui par ses héritières, souvent sur un mode beaucoup plus radical, mais où son influence est de celles qui comptent et prospèrent. L’association de ces images tournées de 1972 à 1981 et destinées initialement au cercle de ses intimes suscite de la part d’Annie Ernaux une évocation intime de cette ère à la fois si proche et si lointaine à travers les images les plus quotidiennes d’un moment fugace auquel elle prête la parole à travers des mots qui datent de la même époque et ne travestissent en aucun cas son regard. Un témoignage dont la quotidienneté même nourrit une universalité qui n’affleure d’aucun document d’actualité, dans la mesure où il n’a jamais eu vocation à sortir du cadre familial et éclaire a posteriori l’itinéraire personnel d’une femme qui a érigé son propre vécu en matériau de son art.

Jean-Philippe Guerand







Annie Ernaux, David Ernaux-Briot et Philippe Ernaux

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract