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“La passagère” d’Héloïse Pelloquet



Film français d’Héloïse Pelloquet (2022), avec Cécile de France, Félix Lefebvre, Grégoire Monsaingeon, Jean-Pierre Couton, Imane Laurence, Josée Lambert, Ghislaine Girard… 1h35. Sortie le 28 décembre 2022.



Cécile de France, Grégoire Monsaingeon et Félix Lefebvre



C’est l’histoire d’une femme de marin-pêcheur pleinement épanouie. Jusqu’au jour où elle croise la route d’un jeune homme qui entreprend de la séduire et auquel elle commence par résister. Parce qu’elle n’a jamais mis en doute l’harmonie de son existence, même si elle vit dans un lieu plutôt isolé, sans se poser aucune des questions qui pourraient fâcher dans un contexte différent. Jusqu’au moment où ses certitudes commencent à vaciller… En inversant le postulat éculé de l’homme mûr perturbé par le démon de midi, Héloïse Pelloquet livre une chronique sentimentale dans l’air du temps en offrant à Cécile de France un rôle comme en rêvent toutes les comédiennes à l’approche de la cinquantaine. Une histoire moins simple qu’il ne pourrait y paraître au premier abord. Parce que l’horloge biologique n’est pas la même pour tou(te)s et que le bonheur ne constitue pas toujours une arme absolue contre l’infidélité. L’intelligence de ce film est de montrer que rien n’est jamais acquis, y compris pour celles et ceux qui s’aiment d’un amour apparemment sans nuages dans un environnement dépourvu de tentations. Sous couvert de décrire le bonheur idyllique d’un couple insulaire qui a laissé la complicité se substituer à la passion, mais s’aime profondément sans se poser d’autres questions, La passagère dresse en outre un portrait de femme assez atypique et trouve en Cécile de France une interprète idéale, tant sa normalité contraste avec les femmes fatales préposées généralement à ce genre d’emplois.



Félix Lefebvre et Cécile de France



En adoptant une facture résolument quotidienne, Héloïse Pelloquet inscrit cette chronique sentimentale dans un cadre quotidien décrit comme rassurant. La routine éprouvante des travailleurs de la mer est décrite ici comme un véritable sacerdoce fondé sur un ordonnancement strict. Ce monde, la réalisatrice l’a déjà filmé dans ses trois courts métrages et l’ordonne comme un rituel soumis à des règles strictes pour l’essentiel séculaires que l’irruption d’un jeune homme va venir perturber. C’est en assumant cette histoire d’amour imprévisible que le film distille son charme empoisonné en envoyant voler les conventions. Jamais la mise en scène ne joue sur l’esbroufe ou le spectaculaire. Elle préfère s’attacher à un rituel que le trouble vient perturber. Pas question non plus de montrer un simple adultère en épousant les conventions du naturalisme. La mise en scène préfère s’attarder sur les visages de ses protagonistes pour guetter le trouble qui les envahit. Et elle est servie en cela par la présence de ses trois protagonistes et leur retenue savamment entretenue. Au cœur de ce trio, Cécile de France prend tous les risques et y répond par son naturel dépourvu de toute affêterie. Les battements de son cœur ne répondent pas à une frustration ou au poids de la routine. Ils la renvoient à l’âge lointain de ses premiers émois. Face à elle, avec toute l’autorité requise, Grégoire Monsaingeon excelle en retenue dans l’emploi ingrat du compagnon de longue date confronté à une routine qui a substitué imperceptiblement la tendresse à la passion, là où Félix Lefebvre séduit par sa maladresse, en faisant peu à peu de sa spontanéité et de sa détermination les plus improbables des atouts de sa passion de jeune homme. Difficile de résister à autant de charmes.

Jean-Philippe Guerand









Cécile de France, Félix Lefebvre et Grégoire Monsaingeon

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