Film franco-belge de Jérémie Guez (2022), avec Waël Sersoub, Tugba Sunguroglu, Arben Bajraktaraj, Stilian Keli, Sam Dagher, Jeanne Abraham… 1h35. Sortie le 7 décembre 2022.
Waël Sersoub et Tugba Sunguroglu
Le polar fut de l’immédiat Après-Guerre, âge d’or du film noir, jusqu’à l’orée des années 80 le banc d’essai de prédilection des réalisateurs en quête de notoriété. Jérémie Guez s’en est fait une spécialité avec Bluebird (2018) puis Sons of Philadelphia (2020). Il confirme aujourd’hui son attachement à ce genre avec Kanun, la loi du sang qu’il situe parmi la communauté albanaise de Bruxelles. Un microcosme régi par des traditions contraignantes dans lequel un jeune homme de main de la Mafia fait l’objet d’un contrat de la part de l’organisation chargée d’exécuter une dette d’honneur. Simultanément, il discerne la possibilité d’un autre avenir au contact d’une étudiante turque aux beaux-arts. Mais il va lui falloir pour cela échapper à ceux qui ont juré sa perte… C’est à partir de cette trame toute simple dont le manichéisme lorgne du côté de la tragédie antique que le réalisateur tisse sa toile autour de ces personnages qu’il présente comme des combattants au bout du rouleau. Dès lors, certains quartiers de Bruxelles deviennent le champ de bataille où ils règlent des différends claniques d’un autre âge sous couvert de valeurs déjà caduques. Comme l’indique clairement son titre, Kanun, la loi du sang confronte en quelque sorte la tradition de ces voyous mus par un code d’honneur déjà désuet à la modernité d’une société occidentale évoluée.
Waël Sersoub
Jérémie Guez connaît ses classiques et se méfie au plus haut point de la modernité trop envahissante. Aux contraintes de rythme imposées par le cinéma anglo-saxon, il oppose une lenteur assumée en prenant le temps de creuser les rapports entre ses personnages et de leur donner chair grâce à des interprètes pour la plupart inconnus. À commencer par l’impressionnant Waël Sersoub et la séduisante Tugba Sunguroglu (l’une des cinq orphelines de Mustang) qui donnent un véritable supplément d’âme à ces personnages confrontés à un destin qu’ils ne maîtrisent pas vraiment. La mise en scène ne triche jamais avec les sentiments et prend délibérément ses distances avec les standards en usage dans un cinéma contemporain qui a une fâcheuse tendance à confondre vitesse et précipitation. La caméra s’offre le luxe de s’attarder sur les visages et reflète les deux sources d’inspiration principale de Guez, même s’il se garde bien de les citer frontalement : une admiration inconditionnelle pour la trilogie Pusher du Danois Nicolas Winding Refn, mais aussi le cinéma d’action de Hong Kong qui a bercé son adolescence. Et puis aussi, un refus de cette fatalité si souvent mise en exergue par le film noir.
Jean-Philippe Guerand
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