Film pakistanais de Saim Sadiq (2022), avec Ali Junejo, Alina Khan, Sania Saeed, Salmaan Peerzada, Rasti Farooq, Sarwat Gilani, Sameer Sohail, Ramiz Law, Honey Albela, Priya Uslman Khan… 2h06. Sortie le 28 décembre 2022.
Ali Junejo
Dans une famille de Lahore, au Pakistan, un jeune homme marié subit la pression familiale qui lui enjoint de devenir père et de dénicher un emploi afin de se donner les moyens de mettre ses projets à exécution. Engagé comme simple employé dans un cabaret, il tombe sous le charme d’une danseuse qui s’avère être… un transsexuel. Dès lors, il va devoir concilier cette passion clandestine avec ses responsabilités, dans un pays encore en proie à une intolérance viscérale dans le domaine des mœurs. Découvert au dernier Festival de Cannes où il a obtenu à la fois le prix du jury Un certain regard et la Queer Palm, Joyland a connu quelques démêlés avec la censure pakistanaise, sous l’effet de la pression religieuse. Ce film teinté d’une forte composante autobiographique aborde en effet un sujet tabou dans cette société que le poids de la tradition rend particulièrement rétrograde sur le plan des mœurs. C’est tout le paradoxe de Joyland de s’inscrire dans une réalité cachée qui tranche avec une conception ancestrale des relations humaines, en soulignant combien l’évolution des mœurs est un domaine à géométrie variable devenu parfois un abcès de fixation pour certaines sociétés en proie à des dogmes radicaux sur les plans moraux, philosophiques et religieux.
Alina Khan
En se glissant ainsi dans cet interstice minuscule qui sépare la tradition de la modernité, Saim Sadiq a sans doute contribué à faire évoluer les mœurs de son pays, en contraignant tout au moins ses compatriotes à y réfléchir sérieusement, sous les auspices favorables de son aura internationale. Il utilise pour cela les ficelles du mélodrame en reprenant à son compte une solide tradition. Joyland assume ses partis pris en abordant résolument son sujet comme une histoire d’amour classique où les battements de cœur font écho au trouble ressenti par le personnage principal, face à un émoi qui contraste avec son statut social de jeune marié promis à un avenir tracé qui reste cependant ponctué de points d’interrogation. Difficile pour un Occidental de se représenter l’audace de cette tranche de vie qui s’inscrit dans une société corsetée par la religion et la tradition où les sentiments semblent condamnés à se fracasser contre des coutumes d’un autre âge. Cette histoire simple se trouve d’ailleurs magnifiquement résumée à l’écran en un plan fulgurant où le jeune homme en proie à des sentiments qu’il ne maîtrise pas transporte sur son vélomoteur une enseigne publicitaire représentant l’objet interdit de sa passion “contre nature”. Voici une romance chargée d’une émotion d’autant plus intense qu’elle reflète des tourments humains parmi les plus spontanés. Telle est la morale de ce conte moderne porté par des interprètes d’une rare intensité qui entend faire bouger les lignes d’une société figée dans un archaïsme d’un autre âge dont les dommages restent le plus souvent invisibles.
Jean-Philippe Guerand
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