Documentaire français de Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert (2022), avec Philippe Poutou, Gilles Lembersend, Thierry Jeans, Vincent Alauze, Thierry Captif, Jérôme Coutelle, Patricia Laujac… 1h36. Sortie le 7 décembre 2022.
Les conflits sociaux sont traités dans les journaux télévisés traditionnels sous une forme feuilletonnée, sans qu’on ne perçoive jamais que la face émergée de l’iceberg, à savoir les mouvements sociaux, les piquets de grève et autres manifestations destinées à alerter l’opinion publique. Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert nous proposent avec Il nous reste la colère un film en immersion totale qui n’a pu voir le jour que parce que le sort de l’entreprise qui en a constitué le cadre et l’enjeu est désormais scellé et irréversible. Tout commence en 2011, lorsque les ouvriers de l’usine Ford de Blanquefort parviennent à sauver mille emplois d’une suppression annoncée. Le répit est pourtant de courte durée. Neuf ans plus tard, le fabricant automobile confirme sa détermination à fermer cette usine voire à la céder à un repreneur en négociant des aides gouvernementales conséquentes. La singularité de ce film de terrain consiste à investir des lieux de pouvoir qu’on ne montre jamais. À l’instar du comité d’entreprise où se cristallise la lutte syndicale et où se prennent des décisions parfois déterminantes pour l’avenir des salariés. Avec en prime une figure de proue particulièrement charismatique en la personne de Philippe Poutou, deux fois candidat aux élections présidentielles sous la bannière du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), dont on mesure ici les convictions sincères.
Il nous reste la colère nous entraîne dans des recoins de la lutte syndicale qu’on ne voit jamais, sur fond de mondialisation décomplexée. Par la précision avec laquelle il met en évidence certains mécanismes économiques sans angélisme, mais avec une grande clairvoyance, ce film pourrait devenir une référence dans le domaine de la gestion de crise. Si le point de vue est celui des salariés dont les réalisateurs suivent pas à pas le vain combat, les patrons se mettent eux-mêmes dans une position très singulière, dans la mesure même où les véritables décisionnaires se font représenter à la table des négociations par des cadres français eux-mêmes sujets à une manipulation diabolique qui leur échappe totalement. Ce documentaire d’un idéalisme assumé nourrit des similarités troublantes avec un autre film, de fiction celui-là, sorti il y a quelques mois : Un autre monde de Stéphane Brizé qui décryptait une crise sociale au sein d’une multinationale, du point de vue de ses cadres dirigeants entraînés malgré eux dans une situation paradoxale. C’est la même horreur économique qui sous-tend ces deux approches, avec pour autre point commun un certain idéalisme auxquels se raccrochent ses personnages principaux : d’un côté le cadre dirigeant campé par Vincent Lindon, de l’autre le syndicaliste de bonne volonté qu’incarne Philippe Poutou dans son propre rôle. Avec hors-champ ces mêmes patrons qui prennent les décisions les plus graves à l’insu de tous depuis l’étranger, en feignant une totale abstraction des ravages humains corrélatifs. Gageons que les spécialistes du droit du travail considèreront Il nous reste la colère comme une référence en la matière.
Jean-Philippe Guerand
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