Film austro-luxembourgeois de Stefan Ruzowitzky (2021), avec Murathan Muslu, Max von der Groeben, Liv Lisa Fries, Marc Limpach, Matthias Schweighöfer, Margarethe Tiesel, Aaron Friesz, Maximilien Jadin, Stipe Erceg, Miriam Fontaine… 1h38. Sortie le 28 décembre 2022.
Il arrive parfois que débarque des films résolument atypiques. Comme des exceptions à la règle dont la singularité constitue une alerte alternative au cinéma ambiant. Tel est le cas d’Hinterland. L’action de ce film se déroule au lendemain de la Grande Guerre et suit le difficile retour de captivité des anciens combattants autrichiens parmi une société civile dont ils incarnent la mauvaise conscience. Parmi ces proscrits, un policier qui peine à retrouver son statut jusqu’au moment où plusieurs de ses camarades sont sauvagement assassinés par un tueur qui semble en vouloir particulièrement à ces vétérans accusés d’avoir laissé sombrer l’empire d’Autriche-Hongrie. Une enquête menée dans une Vienne fantomatique où l’on aperçoit dans le décor la fameuse grande-roue du Troisième homme. Ce cadre familier de tous les cinéphiles, Stefan Ruzowitzky s’emploie à le filmer en brisant les perspectives et en bouleversant les règles de la géométrie dans un hommage somptueux à l’esthétique cinématographique en usage dans les années 20 : ce fameux expressionnisme allemand auquel Fritz Lang, Friedrich Wilhelm Murnau, Paul Leni et quelques-uns de leurs compatriotes donnèrent ses lettres de noblesse.
Murathan Muslu et Liv Lisa Fries
Hinterland, littéralement le pays intérieur, c’est cet empire déchu livré à la merci des aventuriers et des proscrits dont le docteur Mabuse et M le maudit seront les anges noirs. L’audace du film de Ruzowitzky est de raconter cette histoire en lui administrant un traitement esthétique radical pour mieux décrire une société décadente coupée de ses repères dans laquelle un tueur en série peut agir impunément en s’érigeant en ange exterminateur. La mise en scène affirme ses partis pris avec une audace qui ravira les cinéphiles et reconstitue de façon fantasmatique l’égarement d’un peuple orphelin de sa splendeur passée, en brisant délibérément les perspectives. Comme pour en saper symboliquement les fondations. C’est au beau milieu de ce dédale labyrinthique qu’un ancien combattant hanté par ses démons tente de retrouver sa place pour enquêter sur une ténébreuse affaire dont tout porte à croire qu’il connaît mieux que personne le coupable. Sans doute un compagnon d’arme révolté contre le sort réservé aux anciens combattants par une société civile orpheline de sa splendeur déchue. Ce rôle est tenu par Murathan Muslu, époustouflant de charisme dans un rôle pour le moins ingrat. Noyé parmi les sorties tonitruantes de cette fin d’année festive, ce film noir constitue pourtant l’un de ses joyaux les plus audacieux. Avec en prime un dénouement en forme de clin d’œil au clocher de Sueurs froides d’Alfred Hitchcock, déjà revisité récemment par le cinéaste iranien Asghar Farhadi dans Everybody Knows (2018). Un plaisir de cinéphile.
Jean-Philippe Guerand
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