Accéder au contenu principal

“Godland” de Hlynur Palmason



Vanskabte Land Film dano-islando-franco-suédois de Hlynur Palmason (2022), avec Elliott Crosset Hove, Victoria Carmen Sonne, Ída Mekkin Hlynsdóttir, Jacob Lohmann, Waage Sandø… 2h23. Sortie le 21 décembre 2022.



Ída Mekkin Hlynsdóttir et Victoria Carmen Sonne



À la fin du XIXe siècle, un jeune prêtre danois débarque sur un îlot islandais où il est chargé de construire une église et de photographier les autochtones. Au contact de la réalité austère des lieux, il va se trouver assailli de pulsions qui le dépassent en le soumettant à des tentations auxquelles il n’était pas préparé. Présenté en mai dernier dans le cadre de la section Un certain regard du Festival de Cannes, Godland s’inscrit dans la lignée de ce scandinave hanté par la foi qu’ont pu perpétuer à des degrés divers les Danois Carl Theodor Dreyer et Lars von Trier et les Suédois Ingmar Bergman et Bille August. Avec en son cœur un homme de Dieu confronté à la tentation et ébranlé jusqu’au plus profond de sa vocation. Hlynur Palmason esquisse à dessein le portrait d’un personnage pris au piège de sa mission qui ne s’impose ni par son charisme ni par sa séduction. Guidé par sa seule mission, il prend le risque de déplaire par son refus des concessions et une certaine inhumanité vis-à-vis d’une population qui se méfie de Dieu parce qu’elle redoute sa colère et voit débarquer son envoyé avec une méfiance d’autant plus grande qu’il ne cherche nullement à apaiser les esprits ni à rassurer ses ouailles en délivrant la Bonne Parole dans un lieu isolé du monde qui est aussi une colonie méconnue de l’histoire et plus encore ignorée par le cinéma.



Elliott Crosset Hove



Dans un esprit assez proche du fameux Silence (2016) de Martin Scorsese, la puissance de Godland est d’opposer à la foi d’un jeune homme d’église guidé par une mission d’évangélisation un environnement naturel austère qui peut s’avérer hostile, avec en prime l’usage de deux langues étrangères l’une à l’autre qui érige une frontière supplémentaire. Comme si les éléments entendaient soumettre la foi à rude épreuve et confronter son représentant à un véritable rituel initiatique. Le cinéaste a d’ailleurs tenu à tourner sur les lieux mêmes d’où il est originaire en en soulignant l’âpreté naturelle qui conditionne la population. En filigrane affleure un contexte historique plus vaste : celui de la colonisation de l’Islande par le Danemark. Cette “terre de Dieu” est un cadre naturel austère que le réalisateur Hlynur Palmason utilise de la manière dont Roberto Rossellini exploita naguère l’île volcanique de Stromboli (1950) comme l’épicentre d’une tragédie sans issue, au propre comme au figuré. Un lieu isolé et sauvage dont les habitants sont confrontés à bien d’autres problèmes que l’existence de Dieu. Outre sa mission initiale, son personnage principal se voit en outre chargé d’immortaliser ce lieu et ses habitants, ce qui justifie à la fois le format et l’esthétique de cette étude de mœurs qui doit beaucoup à l’utilisation d’un processus photographique primitif au collodion humide qui a lui-même succédé à l’usage du fameux daguerréotype aux alentours de 1860. Ce sont toutes ces particularités qui confèrent à ce film comme habité sa puissance mystique hors du commun.

Jean-Philippe Guerand







Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract