Mediterranean Fever Film palestino-franco-germano-chyprioto-quatari de Maha Haj (2022), avec Amer Hlehel, Ashraf Farah, Anat Hadid, Samir Elias, Cynthia Saleem, Shaden Kanboura… 1h50. Sortie le 14 décembre 2022.
Amer Hlehel et Ashraf Farah
Le meilleur remède à l’oppression n’est pas toujours l’attaque. Elia Suleiman l’a maintes fois démontré à travers des films qui expriment la détresse et le déracinement du peuple palestinien sur le ton de la comédie. Une approche d’autant plus pertinente qu’elle vise à une certaine universalité et égrène des considérations souvent très graves sur un ton faussement badin. C’est le lot des plus grands artistes d’adopter une telle posture en nourrissant leur inspiration d’une observation attentive du monde qui nous entoure. Avec Fièvre méditerranéenne, la réalisatrice Maha Haj adopte une posture assez proche en se réappropriant les codes du film noir au profit d’une comédie de mœurs qu’on qualifiera à tout le moins de sardonique. Elle y orchestre la rencontre d’un père de famille palestinien de Haïfa en proie au vertige de la page blanche avec un escroc à l’enthousiasme plutôt communicatif qui va l’initier à ses combines et stimuler ainsi l’imagination de son voisin en panne d’inspiration. Cette confrontation repose sur deux personnages particulièrement attachants dont l’un d’eux se présente comme l’équivalent oriental de ces névrosés chers à Woody Allen, alors même qu’il a tout pour être heureux, à commencer par une famille idéale, là où son voisin est un escroc sympathique comme on en croisait fréquemment dans les comédies italiennes de l’âge d’or.
Amer Hlehel et Ashraf Farah
Fièvre méditerranéenne emprunte les méandres tortueux de la comédie de mœurs en s’appuyant sur des caractères solidement tranchés que transcendent leurs interprètes. L’écrivain en mal d’inspiration est solidement campé par l’acteur et dramaturge Amer Hlehel, vu notamment dans Paradise Now (2005) et Tel Aviv on Fire (2018) où apparaissait également son partenaire Ashraf Farah, quant à lui aussi actif au théâtre qu’au cinéma. Tout le charme de cette comédie de mœurs repose sur les rapports subtils qui s’établissent entre ces deux hommes issus d’univers étrangers autour d’une cause commune. Avec en filigrane une parabole singulière qui s’attache à des rapports humains parfois proches de l’absurde pour esquisser une sorte de portrait-robot d’une société dont certains citoyens semblent condamnés à une sorte de schizophrénie existentielle, à commencer par les arabes israéliens déchirés par leur double appartenance antagoniste. L’intelligence de Maha Haj consiste à adopter le parti d’en sourire sinon d’en rire, en s’attachant à l’humanité de ces protagonistes tiraillés par une crise identitaire qui finit pas les submerger en les renvoyant à des interrogations fondamentales abordées ici avec une légèreté qui n’est jamais ici ni superficielle ni complaisante. D’où viens-je ? Qui suis-je ? Où vais-je ? Des questions auxquelles cette comédie se garde bien de répondre, mais préfère hasarder des hypothèses. C’est même là tout son charme.
Jean-Philippe Guerand
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