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“Bardo, fausse chronique de quelques vérités” d’Alejandro González Iñárritu



Bardo, falsa crónica de unas cuantas verdades Film mexicain d’Alejandro González Iñárritu (2022), avec Daniel Giménez Cacho, Griselda Siciliani, Ximena Lamadrid, Iker Sánchez Solano, Andrés Almeida, Ruben Zamora, Fabiola Guajardo, Meteora Fontana… 2h40. Mise en ligne sur Netflix le 16 décembre 2022.



Daniel Giménez Cacho et Fabiola Guajardo



À l’occasion de la remise d’un prix prestigieux, un journaliste et documentariste retourne dans son Mexique natal, sans soupçonner que cette immersion brutale va éveiller en lui des troubles existentiels profonds et la nostalgie du temps passé. À l’approche de la soixantaine, Alejandro González Iñárritu s’offre une nouvelle parenthèse onirique au sein de son œuvre déjà considérable qu’on est en droit de rapprocher du tournant amorcé par Federico Fellini vingt ans plus tôt avec La douceur de vivre (1960) et ses spectres magnifiques. Comme si les cinq Oscars personnels et consécutifs qu’il a reçus en 2015 et 2016 pour Birdman et The Revenant lui avaient inspiré un profond besoin de se resourcer à ses origines. Bardo, fausse chronique de quelques vérités renoue avec ses œuvres les plus oniriques en enchaînant les morceaux d’anthologie avec une liberté incroyable. Au risque de se perdre parfois dans des voies sans issue. Par sa propension à jouer de l’espace et du temps, ce labyrinthe tord le cou à la logique cartésienne, mais nous gratifie en échange de quelques moments de cinéma tout à fait exceptionnels. Telle est précisément la limite de cet exercice de style un peu vain qui consiste à confectionner des lambeaux de rêves, à défaut de se cramponner à un récit plus solide. Peut-être aussi dans un souci de brouiller les pistes de son intimité d’artiste. À en croire le sous-titre du film, il s’agit bel et bien là de la fausse chronique de quelques vérités. Tout un programme !



Daniel Giménez Cacho (au centre)



C’est le paradoxe d’une plateforme de streaming comme Netflix de pouvoir s’offrir un tel luxe sans vraiment regarder à la dépense. En admirant certaines audaces formelles et narratives de ce kaléidoscope, on en vient à rêver que c’est peut-être de ces multinationales impérialistes mondialisées que viendra le véritable salut du cinéma d’auteur le plus ambitieux. Celui qui ne regarde pas à la dépense et affiche parfois l’insouciance des mécènes de naguère en finançant ses plus nobles entreprises grâce aux revenus amassés par ses productions à but purement lucratifs qui monopolisent l’attention, le plus souvent par simple paresse de choisir. Bardo s’apparente en cela à l’un de ces actes créatifs, en une succession de tableaux fort inégaux mais parfois saisissants. À l’instar de cette salle de bal baignée d’une semi-obscurité où des corps s’agitent sur les paroles dépourvues de musique du tube “Let’s Dance” de David Bowie ou ces natures mortes en mouvement qui esquissent les contours d’une dictature en uniformes, dans l’esprit de certaines fresques peintes par Goya. De purs moments de grâce à mettre au crédit de ce dédale sensoriel qui marque en outre la première collaboration du réalisateur avec le chef opérateur Darius Khondji, que sa longue expérience a habitué à accompagner les plus inspirés des créateurs internationaux. Dommage toutefois de ne pas pouvoir découvrir sur grand écran la splendeur de ce film présenté en compétition à la Mostra de Venise.

Jean-Philippe Guerand







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