Film américain de Maria Schrader (2022), avec Carey Mulligan, Zoe Kazan, Patricia Clarkson, Andre Braugher, Jennifer Ehle, Samantha Morton, Angela Yeoh, Ashley Judd, Tom Pelphrey, Elle Graham, Maren Lord, Dalya Knapp, Sean Cullen, George Walsh… 2h09. Sortie le 23 novembre 2022.
Zoe Kazan, Carey Mulligan
Andre Braugher et Patricia Clarkson
Le cinéma hollywoodien a toujours brillé par sa capacité à s’emparer des sujets d’actualité les plus brûlants en leur appliquant son sens consommé du spectacle. Il le démontre une nouvelle fois en évoquant aujourd’hui l’affaire Weinstein, à travers l’enquête scrupuleuse menée par deux journalistes du “New York Times”. She Said s’inscrit dans la lignée de ces films d’investigation qui vont des Hommes du président (1977) d’Alan J. Pakula à Pentagon Papers (2016) de Steven Spielberg. Avec en guise de fil rouge la recherche de la vérité et pour enquêteurs des journalistes incorruptibles qui accordent autant d’importance à la fiabilité de leurs sources qu’à la mise en évidence d’un véritable système dont l’aboutissement sera en l’occurrence ici l’éclosion du mouvement #MeToo. Le tout sous-tendu par un idéalisme qui célèbre la noblesse de la presse d’investigation dans toute sa grandeur retrouvée. La difficulté de She Said réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’une enquête le moins du monde spectaculaire. Les deux journalistes qui l’ont menée ont dû effectuer un véritable travail de fourmi pour repérer les victimes, les approcher, gagner leur confiance, puis les convaincre de se livrer, dans un domaine où le silence est trop souvent assourdissant et fonctionne comme l’obstacle principal à l’application du châtiment qui semble devoir s’imposer en toute légitimité.
Zoe Kazan
La principale difficulté que présentait ce film résidait a priori dans la part qu’y occupent les dialogues, en réduisant d’autant les possibilités de morceaux de bravoure. La mise en scène a raison de cette contrainte théorique en donnant un supplément d’âme aux deux enquêtrices qu’incarnent Carey Mulligan, dans le rôle de la journaliste expérimentée qui s’apprête à donner le jour à son premier enfant sur le tard, et Zoe Kazan qui, au contraire, campe une professionnelle moins aguerrie qui a choisi de donner la priorité à sa famille. Deux trajectoires opposées dont le scénario joue avec habileté dans les relations qu’entretiennent ces deux femmes confrontées à une enquête qui prend peu à peu l’allure d’une véritable croisade. Une autre particularité de She Said est de jouer d’un artifice hors du commun à travers la présence d’Ashley Judd, laquelle apparaît dans son propre rôle de victime d’Harvey Weinstein, là où toutes les autres femmes attaquées par ce prédateur sexuel, quand elles apparaissent, sont interprétées par une autre actrice. C’est dire l’intensité de ce jeu de la vérité dont la plupart des protagonistes portent des noms célèbres de la planète hollywoodienne. Cette mise en abyme pirandellienne sert le propos de ce film qui a le bon goût de ne jamais chercher à plaire, mais plutôt de poser les faits avec honnêteté. C’est également un magnifique éloge du journalisme d’investigation dans ce qu’il a de plus noble. Bref, un film douloureux mis nécessaire qui a le mérite de rendre intelligible une affaire extrêmement tortueuse dont tous les mystères n’ont pas encore été élucidés, tant la parole a besoin de temps pour se libérer. Au-delà du cas Weinstein, She Said dresse un état des lieux saisissant de l’évolution des mœurs et de la nouvelle donne initiée par #MeToo.
Jean-Philippe Guerand
Patricia Clarkson, Carey Mulligan et Zoe Kazan
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