Glück/Bliss Film allemand d’Henrika Kull (2021), avec Katharina Behrens, Eva Collé (Adam Hoya), Nele Kayenberg, Jean-Luc Bubert, Petra Kauner, Bence Máté, Maria Mägdefrau, Mike Hoffmann, Sarah Junghauß, Mandy Schicker, Christina-Madalina David, Dennis Singert… 1h30. Sortie le 2 novembre 2022.
Katharina Behrens, au centre
Il y a décidément des sujets dans l’air du temps… ou alors des coïncidences troublantes. L’une des particularités de l’Allemagne est d’avoir circonscrit la pratique de prostitution dans des lieux spécialisés, comme c’était le cas en France jusqu’à la loi de Marthe-Richard votée le 13 avril 1946 qui visait à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le proxénétisme. Deux films viennent nous le rappeler opportunément cet automne : l’adaptation du best-seller d’Emma Becker La maison par Anissa Bonnefont (sortie le 16 novembre) et Seule la joie de la réalisatrice allemande Henrika Kull, en se rappelant que la mère courage incarnée par Laure Calamy traversait la frontière pour y arrondir ses fins de mois dans Une femme du monde de Cécile Ducrocq. On y pratique une sexualité normalisée dans des lieux dédiés à cet usage dont les pensionnaires vivent en vase clos, dans la continuité logique de ces gynécées mis en scène par Max Ophüls dans Le plaisir (1952), Luis Bunuel dans Belle de jour (1967) et Bertrand Bonello dans L’Apollonide (Souvenirs de la maison close) (2011). Signe des temps, ce sont aujourd’hui des réalisatrices qui se réapproprient ce monde à part en entérinant cette aspiration à la jouissance exprimée par les premiers slogans féministes lancés parmi les pavés de Mai 68.
Katharina Behrens et Adam Hoya
La maison close de Seule la joie joue le rôle d’un accélérateur de particules à travers la rencontre d’une pensionnaire de longue date avec une nouvelle venue qui revendique son non-conformisme et sa bisexualité (Eva Collé alias Adam Hoya). Deux femmes d’aujourd’hui pour qui le sexe est devenu un gagne-pain, sans altérer pour autant leur capacité à éprouver des sentiments et à assumer leur désir de jouissance. La description de la prostitution n’y est jamais ni sordide ni enjouée. S’il arrive au corps d’y exulter, il ne s’agit là que d’une hypothèse, pas d’un objectif en soi. Henrika Kull se garde bien d’exalter cet univers. Elle se contente de montrer que son mode de fonctionnement est calqué sur celui des entreprises, avec ses strictes règles d’hygiène et ses discrets échanges d’argent normalisés qui l’ont fait échapper à l’orbite mafieuse et aux trafics d’êtres humains. Sans jamais magnifier cette profession controversée qu’on désigne parfois comme “le plus vieux métier du monde”, Seule la joie souligne avant tout que sa pratique n’est pas incompatible avec les sentiments et humanise en cela ces travailleuses du sexe qui ont fait l’objet par le passé de tant de fantasmes, à peu près unilatéralement masculins. Il est intéressant que ce soit aujourd’hui des femmes qui investissent cet univers, même s’il revêt un caractère quelque peu exotique pour des spectateurs français que le cinéma a habitués à d’autres pratiques, comme en témoignaient récemment encore le formidable documentaire de Claus Drexel Au cœur du bois, dans un cadre ô combien différent, mais aussi la version de Madame Claude réalisée par Sylvie Verheyde pour Netflix.
Jean-Philippe Guerand
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