Film français d’Alice Diop (2022), avec Atillahan Karagedik, Kayije Kagame, Guslagie Malanda, Valérie Dréville, Aurélia Petit, Xavier Maly, Robert Cantarella, Salimata Kamate, Thomas de Pourquery, Adama Diallo Tamba, Mariam Diop, Dado Diop… 2h02. Sortie le 23 novembre 2022.
Kayije Kagame
Deux destins de femmes qui se superposent à l’occasion d’un procès. L’une est requise en tant que jurée à un moment de sa vie où se posent plein de questions universelles. L’autre est jugée pour le meurtre de son enfant unique conçu et élevé dans la clandestinité. Entre ces deux femmes réunies le temps d’une série d’audiences dans le palais de justice de Saint Omer va s’instaurer un lien ténu. Alors même que la loi leur interdit d’échanger un mot, mais que le destin les réunit dans un lieu clos où doit s’exercer la justice des hommes. Venue à la fiction par le documentaire, Alice Diop a notamment signé avec Nous (2021) une véritable radiographie humaine des populations disparates qui vivent le long du tracé de la ligne B du RER. Son sens de l’écoute, elle le met aujourd’hui au service d’une affaire criminelle qui fonctionne comme un révélateur saisissant des failles les plus infimes de notre société. D’un côté, une femme tenue dans l’ombre par son vieil amant qui est allée jusqu’à noyer son enfant pour exister aux yeux du monde, quitte à prendre malgré elle la dimension d’une figure tutélaire de tragédie grecque qu’elle ne peut pas assumer. De l’autre, une femme à ce moment déterminant de son existence où elle se trouve confrontée au désir d’enfanter et doit régler ses comptes avec son passé pour pouvoir aller enfin de l’avant en toute sérénité. Deux destinées qui vont se retrouver indissolublement imbriquées par un scénario conçu en écho autour d’une notion à géométrie variable : l’intime conviction.
Guslagie Malanda
Alice Diop s’est imposée par sa finesse psychologique et son tact à travers une série de documentaires au fil desquels elle a démontré à la fois son sens de l’écoute et un regard pénétrant sur ses protagonistes. Son premier long métrage de fiction s’appuie sur ces mêmes qualités, en orchestrant un récit qui comprend un double niveau de lecture sans comporter pour autant le moindre échange entre les deux femmes qui en sont les protagonistes et résonnent en écho malgré elles. Le film de procès est devenu un genre à part entière dont on croyait avoir épuisé les moindres ressources, tant le cinéma s’en est nourri. Saint Omer innove en la matière par la façon dont il s’en sert pour évoquer deux destinées comme dans un miroir dans tain. Il suffit d’observer la façon dont Alice Diop filme les audiences pour comprendre qu’elle utilise ses protagonistes pour résoudre une équation humaine à deux inconnues. Au-delà d’un scénario qui fonctionne comme un révélateur et le doit sans doute pour un bonne part à la collaboration de la réalisatrice avec la romancière Marie N’Diaye dont c’est la deuxième contribution au cinéma après White Material (2009) de Claire Denis, Saint Omer propose une réflexion abyssale sur la relativité de la vérité à travers deux portraits de femmes entrecroisés avec virtuosité. Le tout servi par une mise en scène qui refuse d’être ostensible pour se concentrer sur les visages et les corps. La caméra est utilisée de façon clinique avec cette omniprésence des gros plans et un usage du hors-champ qui atteint parfois une grâce digne de Robert Bresson par son refus du voyeurisme. C’est au spectateur qu’il revient de remplir les points de suspension de cette affaire de femmes douloureuse. Avec une promesse de rédemption à la clé.
Jean-Philippe Guerand
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