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“Rimini” d’Ulrich Seidl



Film austro-germano-français d’Ulrich Seidl (2022), avec Michael Thomas, Tessa Göttlicher, Hans-Michael Rehberg, Inge Maux, Claudia Martini, Georg Friedrich, Natalya Baranova, Silvana Sansoni, Rosa Schmidl… 1h56. Sortie le 23 novembre 2022.



Michael Thomas



Un chanteur de charme allemand vieillissant s’est établi sur la côte italienne où il se produit devant des parterres de retraités en voyage organisé. Il lui arrive parfois aussi d’arrondir ses fins de mois difficiles en accordant ses faveurs à des vieilles dames indignes confrontées à l’impuissance de leurs compagnons. Jusqu’au moment où débarque dans le paysage une jeune femme qui lui affirme être le fruit de ses entrailles, obligeant le crooner de bonne volonté à mettre les bouchées doubles pour s’acquitter de sa dette envers cette fille pas si prodigue que cela… Le cinéaste autrichien Ulrich Seidl nous a habitué à sa vision désabusée du monde à travers des films aussi magistraux qu’Import/Export (2007) et sa trilogie Paradis (2012-2013) où il était déjà question de retraités savourant des plaisirs interdits dans une atmosphère de colonialisme rance. Rimini ne porte guère sur le monde un regard plus charitable. Seidl filme cette station balnéaire immortalisée par Fellini et Pasolini sous son jour le moins glorieux, quand elle est désertée par les touristes et livrée à des clients de voyages organisés au rabais, de préférence hors-saison, sous la pluie ou sous la neige. Il perpétue ainsi sa vision très désabusée d’une Europe en proie à sa propre déchéance qui ne sait plus quoi faire de la longévité accrue de ses aînés. Un raccourci saisissant de la condition humaine telle que l’ont façonnée les pays riches.



Tessa Göttlicher, Georg Friedrich et Michael Thomas



Ulrich Seidl n’a jamais cherché à plaire à quiconque. C’est même sans doute à cette caractéristique récurrente qu’on reconnaît ce cinéaste autrichien qui rumine une vision très noire du monde et n’hésite jamais à choquer, même s’il ne s’agit pas de sa part d’un acte gratuit mais du fruit d’une réflexion plus profonde. Il ne se fait aucune illusion sur ses contemporains et l’assume sur un registre parfois sardonique. Quitte à choisir dans Rimini un protagoniste qu’il se garde bien d’accabler : un chanteur rattrapé par son passé qui n’hésite jamais à donner de sa personne pour satisfaire des femmes de son âge en quête d’une étreinte éphémère, mais toujours à la merci de leur âge biologique. Juste un gigolo vieillissant qui semble s’être réfugié dans l’ivresse narcissique de sa gloire toute relative. Rimini est dès lors un constat amer qui doit beaucoup à la personnalité singulière de son interprète principal, Michael Thomas, colosse aux pieds d’argile qui se complaît dans le culte dérisoire dont il fait l’objet, sans jamais en percevoir le ridicule. La cruauté coutumière de Seidl s’exerce cette fois dans le cadre d’une station balnéaire filmée sous son jour le plus glauque où viennent échouer des cars de touristes au rabais, comme l’implique cette villégiature hors saison où les thés dansants pallient l’impossibilité des bains de mer. Rimini s’inscrit en fait dans la veine logique d’un film précédent du cinéaste, le premier volet de sa trilogie Paradis : Amour (2012), dans lequel des quinquagénaires occidentales s’adonnaient impunément à la pédophilie au Kenya sous couvert de tourisme sexuel. Avec ici une touche de magnanimité en sus, mais toujours la même vision sordide d’un monde occidental en pleine décadence qui se complaît dans des turpitudes mesquines et minables afin de pouvoir survivre à sa grandeur passée.

Jean-Philippe Guerand








Michael Thomas

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