Film franco-germano-luxembourgo-norvégien d’Emily Atef (2022), avec Vicky Krieps, Gaspard Ulliel, Bjørn Floberg, Sophie Langevin, Valérie Bodson, Jérémy Barbier d’Hiver, Marion Cadeau, Yacine Sif el Islam, Estelle Kerkor… 2h03. Sortie le 16 novembre 2022.
Bjørn Floberg et Vicky Krieps
En couple depuis plusieurs années, Hélène et Mathieu partagent un bonheur paisible que rien ne semble pouvoir troubler. Jusqu’au moment où la maladie vient à menacer le fragile équilibre dans le cadre duquel s’est épanouie leur harmonie idyllique. Refusant d’imposer le spectacle de sa déchéance à son compagnon dont elle souhaite qu’il conserve d’elle l’image originelle qui l’a séduit, Hélène décide de partir seule dans un coin reculé de Norvège où elle se réfugie dans le chalet mis à sa disposition par un vieux misanthrope avec lequel elle va tisser une complicité qui s’embarrasse d’autant moins de longs discours inutiles que son hôte est passé par une épreuve assez proche et se considère comme un survivant… D’un sujet qui aurait pu aisément succomber à la tentation du mélodrame lacrymal, le réalisatrice allemande Emily Atef, célèbre pour avoir mis en scène le désarroi de Romy Schneider dans 3 jours à Quiberon (2018), tire une chronique minimaliste sur la solitude d’une femme qui refuse d’imposer à son entourage le spectacle de sa déchéance. Une tragédie totalement exempte de pathos qui repose sur une observation aiguë du quotidien et la réappropriation méthodique de ses gestes les plus élémentaires. Plus que jamais est aussi un formidable portrait de femme qui croise au plus près de l’intime et extrait une force de vie peu commune des gestes élémentaires et anodins. La mise en scène excelle à se raccrocher à des petits riens sans jamais abuser de la corde sensible, mais en se concentrant autour de ces gestes anodins auxquels on ne prête même plus attention tant ils nous semblent acquis une fois pour toutes. Comme si sa protagoniste principale se pressentant en sursis cherchait à constituer une sorte de trousse de survie mentale.
Gaspard Ulliel
Progressant sur un fil particulièrement ténu, Emily Atef excelle à capter les gestes les plus intimes et à exploiter les ressources les plus infimes de son sujet, en nous tendant un miroir qui nous aveugle par son universalité implacable. Elle dispose pour cela d’une interprète exceptionnelle en la personne de la comédienne luxembourgeoise Vicky Krieps dont on réalise ici que les metteurs en scène n’ont exploité jusqu’à présent qu’une part négligeable de son potentiel dramatique considérable. En proie ici à une problématique existentielle capitale, comme le cinéma en propose au fond beaucoup trop rarement à ses interprètes, elle s’impose par sa retenue systématique et un refus des grands effets. C’est d’ailleurs tout ce qui fait la différence entre cette tragédie minimaliste dont la retenue s’apparente à un réflexe de pudeur et l’emphase mélodramatique à laquelle elle aurait pu donner lieu entre des mains moins délicates. Une cruelle ironie du sort veut par ailleurs que ce film d’une tenue exemplaire marque aussi l’ultime apparition à l’écran du comédien Gaspard Ulliel, mort accidentellement dans un accident de ski en janvier dernier à l’âge de 37 ans. Ce jeune homme bien sous tous rapports qui vivait ses rôles davantage qu’il ne les jouait s’en est allé avec l’une des compositions les plus dépouillées de sa carrière, même si celle-ci consiste pour l’essentiel à faire briller le talent d’une partenaire elle-même toute en retenue. C’est là que se situe le tour de force de ce film épuré qui jongle avec des émotions et des sentiments universels, sans jamais verser ni dans le pathos ni dans le voyeurisme. D'où paradoxalement une capacité émotionnelle accrue.
Jean-Philippe Guerand
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