Documentaire français d’Émérance Dubas (2022). 1h11. Sortie le 23 novembre 2022.
Il fut un temps, pas si lointain que ça, où les fortes têtes se voyaient systématiquement menacées d’un séjour en pension ou, pire, en maison de correction. Mauvaises filles s’attache à une poignée d’adolescentes soumises à ce régime qui a perduré jusqu’à la fin des années 70. Des gamines dont le seul tort était probablement d’avoir été mises au monde par des parents incapables de les élever convenablement et qui ont voulu crier leur détresse sans être écoutées. Devenue une véritable référence pédagogique agréée par le Vatican et érigée au rang de franchise éducative internationale, l’institution catholique du Bon Pasteur s’est imposée comme une référence absolue pour une bonne société soucieuse de ramener ses brebis égarées dans le troupeau. Un régime draconien qui connaîtra son âge d’or au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec la fameuse ordonnance du 2 février 1945 sur la justice des mineurs qui dissocie l’éducation surveillée de l’administration pénitentiaire. Là où les garçons sont envoyés dans des internats, les filles sont orientées dans des établissements religieux supposés leur prodiguer des préceptes moraux, les plus rétives se voyant dirigées dans des institutions supposées assurer leur redressement, alors que leurs familles ignorent le plus souvent tout du régime véritable auquel elles sont soumises en toute impunité, vexations et châtiments corporels compris. C’est à leur sort méconnu que s’intéresse ce film à travers les témoignages d’une poignée d’entre elles.
Mauvaises filles donne la parole à celles qui en ont été privées et ressuscite une époque pas si lointaine où des jeunes filles ont été soumises à un régime proprement inhumain dont l’impunité s’appuyait sur une véritable conjuration du silence entretenue à la fois par l’État, qui confiait la sale besogne à des institutions religieuses en leur déléguant la responsabilité de pallier ses failles, et par des familles impuissantes à assurer leurs responsabilités éducatives. Un demi-siècle plus tard, les victimes témoignent du calvaire qu’elles ont subi et convoquent le spectre d’un autre film, irlandais celui-là, The Magdalene Sisters (2002) de Peter Mullan. La parole qui s’exprime dans ce film s’avère plus dévastatrice que les rares images documentaires qui en témoignent. On y découvre des femmes puissantes qui sont parvenues à transformer leur calvaire en une véritable épreuve de résilience et ont démontré au fil de leur existence que ces souffrances parfois inhumaines les avaient rendues plus fortes pour affronter les épreuves les plus redoutables de la vie. Confrontées au théâtre de leur calvaire, elles manifestent à travers leurs retrouvailles une solidarité qui a joué un rôle fondamental dans la constitution de leurs personnalités, à l’instar de Fabienne Bichet devenue une directrice de casting renommée que cet apprentissage si douloureux a paré d’une humanité hors du commun et d’une résistance à toute épreuve, mais sans une once d’amertume. Comme si cette survivante poussée au bord de l’abîme s’était résolue à voir a posteriori en cette jeunesse volée et souillée un châtiment légitime sinon mérité.
Jean-Philippe Guerand
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