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“Les Amandiers” de Valeria Bruni Tedeschi



Film français de Valeria Bruni Tedeschi (2022), avec Nadia Tereszkiewicz, Sofiane Bennacer, Louis Garrel, Micha Lescot, Clara Bretheau, Noham Edje, Vassili Schneider, Eva Danino, Liv Henneguier, Baptiste Carrion-Weiss, Léna Garre, Sarah Henochsberg, Suzanne Lindon… 2h06. Sortie le 16 novembre 2022.



Nadia Tereszkiewicz, Louis Garrel et Vassili Schneider



Le cinéma sert aussi parfois à essayer d’arrêter le temps. C’est l’exercice périlleux mais palpitant auquel a décidé de se livrer Valeria Bruni Tedeschi en évoquant ce moment unique qu’elle a vécu avec ses camarades, lorsque Patrice Chéreau et Pierre Romans ont créé en 1982 l’éphémère École des Amandiers d’où a émergé une génération toute entière dont les talents ont irrigué le cinéma et le théâtre des décennies suivantes. Une aventure collective intense qui a coïncidé avec l’apparition d’un mal encore mystérieux, le sida, dont le spectre encore flou a ruiné à jamais l’insouciance de cette génération qui se croyait protégée par sa passion et n’imaginait pas qu’Eros puisse se changer en Thanatos. Cet âge des possibles, Valeria Bruni Tedeschi le met en scène avec le lyrisme et la fougue que manifeste une adolescente aux prises avec son journal intime. Elle filme les états d’âme de ses protagonistes en s’efforçant de respecter la jeune adulte qu’elle a été, mais sans véritable complaisance pour cette génération qui a basculé des rêves post-soixante-huitards au spectre de l’amour à mort incarné par le HIV. Avec cette figure tutélaire de metteur en scène que campe Louis Garrel dans le rôle de Patrice Chéreau, délibérément en retrait dans le film. Comme si la réalisatrice s’était refusée à sacraliser la stature du commandeur dont elle fut l’une des seules à accompagner à Cannes son film Hôtel de France, l'une des seules traces de cette aventure qui a marqué son époque et sans doute aussi suscité des vocations parmi les générations ultérieures.



Louis Garrel et Nadia Tereszkiewicz



Les Amandiers est la chronique tendre et affectueuse d’une aventure qui a marqué celles et ceux qui l’ont vécue à ce fameux âge des possibles où ils ont embrassé leur vocation pour l’art dramatique en se jetant dans le grand bain de l’âge adulte. En filigrane, Valeria Bruni Tedeschi évoque un spectre qui assombrit l’innocence de cette génération : le Sida. La sinistre résurgence de l’éternel combat entre Eros et Thanatos qui vient fracasser l’une des dernières illusions post-soixante-huitardes : l’amour libre. Cette fin de l’innocence sexuelle, le film l’évoque au détour d’une conversation au cours de laquelle il apparaît que l’insouciance et la promiscuité sont de nature à engendrer une véritable hécatombe parmi ces jeunes gens qui ont tout sacrifié à leur rêve de comédie, y compris les engagements affectifs durables qui caractérisaient leurs aînés. Avec aussi en contrepoint ce personnage qu’incarne Suzanne Lindon comme le revers de la médaille. Valeria Bruni Tedeschi trouve les mots les plus justes, les images les plus saisissantes et les interprètes idéaux pour reconstituer ses rêves de jeunesse et évoquer un certain état de grâce. À l’instar de la lumineuse Nadia Tereszkiewicz, révélée récemment dans Tom de Fabienne Berthaud, du très prometteur Sofiane Bennacer et d’une foule d’interprètes dont l’avenir seul décidera s’ils partagent à leur tour l’avenir doré de ces jeunes gens qu’ils incarnent si justement à l’écran. Cette recherche du temps perdu pétrie davantage de tendresse que de nostalgie constitue en outre un magnifique hommage à ce qui reste peut-être toujours le plus beau métier du monde.

Jean-Philippe Guerand






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