Film français de Lucas Delangle (2022), avec Thomas Parigi, Edwige Blondiau, Lou Lampros, Jean-Louis Coulloc’h, Romain Laguna, Jean-Marc Ravera, Georges Isnard, Sivan Garavagno… 1h32. Sortie le 2 novembre 2022.
Thomas Parigi et Lou Lampros
Ceux qui reprochent au cinéma français de trop s’intéresser aux espaces urbains et à la frange la plus aisée de la population vont trouver en Jacky Caillou matière à un retour aux sources radical. Son personnage-titre est un jeune homme qui vit avec sa grand-mère magnétiseuse-guérisseuse dans un village des Alpes. Le jour où débarque une citadine atteinte de stigmates cutanés bizarres, cette intruse venue d’ailleurs devient en soi un véritable défi pour ces pratiques ancestrales. Jacky Caillou s’attache à l’opposition de deux mondes qui se côtoient rarement, mais continuent à coexister, même si c’est parfois dans une certaine clandestinité incompatible avec les normes qui régissent la science moderne et notamment la médecine. Il ne s’agit pas pour le réalisateur Lucas Delangle de soutenir une quelconque thèse ou de faire œuvre de prosélytisme. Le monde qu’il décrit se contente de respecter des traditions et de perpétuer des pratiques en porte-à-faux avec la modernité de notre époque. C’est aussi un univers qui prône la bienveillance et se trouve motivé par un certain altruisme, face à ce qui pourrait devenir dans un autre contexte une véritable chasse aux sorcières et où le loup demeure une menace. Une sorte de recours ultime à l’usage des cas les plus désespérés dont l’aura quasi mystique fait partie intégrante de la tradition qu’elle perpétue, sans que quiconque y trouve vraiment à redire. Peut-être aussi, d’un point de vue plus rationnel, une alternative radicale aux fameux déserts médicaux.
Thomas Parigi
Jacky Caillou prend pour cadre une France invisible qui perpétue des pratiques séculaires sans demander rien à personne et puise son inspiration au plus profond d’une tradition que le cinéma abordait plus volontiers à l’époque où le monde rural était encore dominant, à l’instar du Guérisseur (1953) d’Yves Ciampi. On en trouve des séquelles tardives dans des films solidement ancrés dans le terroir comme Rester vertical (2016) d’Alain Guiraudie ou Heureux comme Lazzaro (2018) d’Alice Rohrwacher. La campagne que décrit Lucas Delangle dans son premier long métrage est un monde solidement cramponné à son passé où le loup rôde, où l'on étreint l'écorce des arbres pour communier avec la nature et où les vertus de l’irrationalité sont concrètes. Les fluides s’y transmettent quant à eux d’une génération à l’autre, comme les pouvoirs miraculeux de certains sorciers. Du coup, le simple fait d’y croire constitue déjà en soi un premier pas déterminant vers la guérison. Jacky Caillou est un film résolument à contre-courant du cinéma français “mainstream” qui préfère montrer que démontrer, en soulignant qu’à certains phénomènes irrationnels il convient d’opposer des remèdes qui le sont tout autant. Avec cette idée sous-jacente selon laquelle le corps se soigne aussi par la tête. Libre à chacun de se faire une opinion. Thomas Parigi, Edwige Blondiau et Lou Lampros (révélée par Antoinette Boulat dans le rôle principal de Ma nuit) nous y aident par leur absence totale d’affectation et leur pureté désarmante.
Jean-Philippe Guerand
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