Film franco-luxembourgo-tuniso-belge de Lofty Nathan (2022), avec Adam Bessa, Salima Maatoug, Ikbal Harbi, Najib Allagui, Khaleb Brahem, Hsouna Heni, Jamel Madani, Mohamed Ouni, Elyes Riahi… 1h27. Sortie le 2 novembre 2022.
Adam Bessa
Certains s’en souviennent, c’est l’immolation par le feu d’un marchand ambulant de Sidi Bouzid qui a marqué le déclenchement de la révolution tunisienne, en décembre 2010, puis l’engrenage du Printemps arabe. En s’emparant de cet événement, le réalisateur américain Lofty Nathan a décidé de sonder les véritables causes de ce geste désespéré, en s’attachant à la personnalité d’un petit trafiquant de carburant qui survit dans une société désespérément dépourvue de promesses d’avenir. La mise en scène s’appuie sur une observation comportementaliste des faits et gestes du quotidien qui vont peu à peu isoler un être solitaire en le poussant à ronger son frein et à ressasser sa rancœur jusqu’à atteindre un point de non-retour. Ce moment où tout va basculer, nous ne le verrons pas à l’écran. Il appartient à l’histoire de la Tunisie et n’est que la conséquence d’une succession de brimades et d’humiliations qui ont poussé son protagoniste à prendre en quelque sorte le maquis sur le plan mental. Le terme “harka” signifie “brûler” en arabe et désigne aussi en argot un migrant en situation illégale. Cette dichotomie délibérée sied au sujet de ce film qui décrit l’enchaînement des événements qui vont pousser la jeunesse d’un pays à se soulever contre le pouvoir despotique qui hypothèque depuis trop longtemps ses promesses d’avenir.
Salima Maatoug et Ikbal Harbi
Harka s'avère indissociable de l’omniprésence étouffante de son interprète principal, Adam Bessa, personnage cadenassé en lui-même et peu disert que les événements poussent peu à peu au désespoir, simplement parce qu’il se bat quotidiennement, non pas pour vivre mais pour survivre. L’audace de Lofty Nathan est de ne jamais chercher à en faire un héros, mais de montrer comment l’accumulation des contraintes, des brimades et des désillusions façonnent le désespoir le plus quotidien qui soit. C’est le sort des proscrits et des laissés-pour-compte auxquels les médias ne prêtent jamais la moindre attention. Jusqu’au moment où ils cherchent à exister, même de façon éphémère, avant de retomber dans l’anonymat dont la détresse les a fait émerger. Quitte à n’exister… qu’une fois morts. C’est tout le paradoxe du personnage dont Harka suit le quotidien sans la moindre tentation d’héroïsation et sans même chercher à établir une quelconque empathie entre lui et nous. En décrivant la lente réclusion mentale d’un individu qui en vient peu à peu à se couper non seulement de ses rares proches, mais aussi de la société qu’il perçoit comme une jungle inhumaine, Lofty Nathan réussit à appliquer la fameuse figure dialectique de la synecdoque au cinéma. Aussi marginal et reclus puisse-t-il paraître, son personnage s’avère brimé jusqu’à la marginalisation par la société qui l’entoure et le laisse ruminer son désarroi dans une souveraine indifférence. Effet garanti !
Jean-Philippe Guerand
Adam Bessa
Commentaires
Enregistrer un commentaire