Documentaire britannique d’Andrea Arnold (2021) Avec (voix) Lin Gallagher 1h34. Sortie le 30 novembre 2022.
Le documentaire fait parfois figure d’exutoire pour certains cinéastes de fiction. Réalisatrice engagée, la britannique Andrea Arnold distille à travers ses films une vision plutôt âpre de l’humanité qui va de Red Road (2006) à American Honey (2016). Au lendemain de diverses contributions à des séries télé, elle a souhaité s’attacher dans Cow au destin au fond assez méconnu de ces bovins dont le lait finit dans nos verres, la viande dans nos assiettes et le cuir dans nos vêtements. Elle jette son dévolu pour cela sur un élevage à la pointe du progrès où la souffrance animale semble avoir été éradiquée. Les traites s’y déroulent en musique et les éleveurs qui s’activent entre l’étable et les prairies affichent un look moderne de nature à rassurer. Aux antipodes de Bovines (2011) d’Emmanuel Gras qui fascinait par l’observation attentive d’un troupeau en pleine nature, c’est-à-dire dans son cadre le plus banal, ce portrait d’une exploitation modèle ressemble même parfois à s’y méprendre à un éloge dans les règles de pratiques séculaires qui ont su s’accommoder au mieux des progrès technologiques, de l’hygiène et de la souffrance animale. Au point qu’on en deviendrait presque carnassier par empathie pour ce bétail choyé dans le meilleur des mondes. Une illusion qui se prolonge pendant une heure et demie… mais pas au-delà !
Il suffit d’une phrase pour faire basculer ce documentaire idyllique dans une toute autre dimension. Sa réalisatrice n’a pas besoin de la moindre voix off pour nous guider à travers ce monde presque parfait dont la vache laitière Luma apparaît comme la reine d’un jour promise à un funeste destin. Reste que les dernières images de son film et le silence qui les accompagne projettent une ombre écrasante sur les scènes parfois idylliques qui ont précédé. Au point qu’on en était venu à oublier la raison d‘être des animaux dits de boucherie. À l’image de son titre lapidaire, Cow est un constat définitif et fulgurant qui ne prend rétrospectivement tout son sens qu’à la fin. Un peu à l’image d’une vie, quelle qu’elle puisse être. Loin de baisser la garde, Andrea Arnold souligne l’hypocrisie derrière laquelle essaie de se cacher la société moderne, sous couvert de donner des gages à ceux qui dénoncent son cynisme fondamental. Ce documentaire percutant n’a besoin ni de grands discours ni d’images d’archive pour nous convaincre de notre sauvagerie innée. La barbarie à visage humain existe. Andrea Arnold l’a rencontrée et nous la soumet, en soulignant la perversité d’un système qui ne se réfugie derrière les règles de l’hygiène que pour mieux s’aveugler sur ses propres turpitudes. Il n’est pas nécessaire d’être végétarien ou végétalien pour se montrer réceptif à son message tragiquement humaniste. Quel peut bien être le sens d’une vie promise à une finalité aussi prosaïque ? Ce film ne prétend pas apporter la réponse à cette question existentielle. Il se contente juste d’entrebâiller une porte…
Jean-Philippe Guerand
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