Film français de Bertrand Bonello (2022), avec Louise Labèque, Julia Faure, Ninon François, Bonnie Banane et les voix de Louis Garrel, Laetitia Casta, Gaspard Ulliel, Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste… 1h22. Sortie le 16 novembre 2022.
Julia Faure
Venu de la musique au cinéma, Bertrand Bonello s’est mis résolument en marge du système, en refusant de rentrer dans le rang. Une position qui lui vaut depuis un quart de siècle d’être parvenu à s’imposer en creusant un sillon singulier. Célébré dans les plus grands festivals internationaux, il aurait pu poursuivre son chemin en toute sérénité dans le cadre d’un cinéma français passé maître dans l’art de préserver ses auteurs des contingences mercantiles. Au lendemain de Saint Laurent (2014) et du court métrage de commande de la collection Où en êtes-vous ?, qui consiste pour le Centre Georges Pompidou à confronter des artistes à leur propre désir créatif, auquel il a volontairement donné une suite en 2020, le réalisateur a toutefois manifesté sa volonté de remettre les pendules à l’heure avec Nocturama (2016), une réaction épidermique mais aussi prophétique (car conçue avant) à la vague d’attentats de 2015, puis Zombi Child (2019), une variation autour des morts-vivants façon vaudou. La boucle semble aujourd’hui bouclée avec Coma dont il confie l’un des deux rôles principaux à la même interprète, Louise Labèque. Une adolescente coupée du monde n’a de tangible contact avec le réel qu’à travers ses rêves dans lesquels elle peut inviter les internautes avec lesquels elle est en contact, elle-même suivant les conseils d’une youtubeuse au patronyme évocateur : Patricia Coma ! Un projet qui n’apparaît en fait sans doute que comme le galop d’essai de son nouveau film, La bête, d’ores et déjà tourné, dans lequel Léa Seydoux devait initialement avoir pour partenaire le regretté Gaspard Ulliel, ici en voix off pour la dernière fois de sa trop brève carrière.
Louise Labèque
Coma s’inscrit dans une tradition en friche du cinéma français ébauchée par Level Five (1997) de Chris Marker et Demonlover (2002) d’Olivier Assayas, en s’efforçant d’appliquer l’hybridation des techniques du septième art avec les ressources sans doute encore balbutiantes des nouvelles technologies. Des tentatives émanant de francs-tireurs aux prises avec le fossé abyssal qui sépare les codes traditionnels de la narration d’une approche expérimentale de l’espace et du temps. Ici se situe l’audace novatrice de Coma qui nous entraîne dans une zone encore blanche de ces réseaux sociaux devenus l’agora des nouvelles générations. Un univers que Bonello aborde avec une créativité fascinante, comme s’il souhaitait poser les jalons d’un cinéma en devenir qui va devoir composer avec les nouvelles technologies, mais surtout avec les possibilités offertes par la réalité virtuelle et le métavers. En nous faisant visiter ce monde vertigineux qui lui inspire des images fascinantes et des audaces formelles parfois déroutantes, Coma esquisse les contours hypothétiques d’un cinéma du futur dont la crise de croissance actuelle s’affranchira de ses contraintes fondatrices pour imaginer de nouvelles façons de raconter des histoires, en recyclant les enseignements éternels nés au fond de la fameuse caverne de Platon. Ce film déroutant nous convie peut-être tout simplement à une incursion parmi les promesses de notre imaginaire. Mais ça, seul l’avenir sera en mesure de nous le confirmer.
Jean-Philippe Guerand
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