Bones & All Film italo-américain de Luca Guadagnino (2022), avec Timothée Chalamet, Taylor Russell McKenzie, Michael Stuhlbarg, Mark Rylance, Andre Holland, Madeleine Hall, Sean Bridgers, Anna Cobb, David Gordon Green, Jake Horowitz, Marcia Dangerfield… 2h10. Sortie le 23 novembre 2022.
Taylor Russell McKenzie et Timothée Chalamet
Révélé par Call Me by Your Name (2017), un film phénomène dont James Ivory avait conçu le scénario, le réalisateur italien Luca Guadagnino creuse un sillon délibérément atypique au sein du cinéma italien depuis une bonne vingtaine d’années qui l’a amené à traiter de sujets souvent audacieux sinon scabreux, qu’il s’agisse de Melissa P. (2005) dans lequel il s’attachait à l’éveil sexuel d’une adolescente délurée, d’Amore (2009), où il rendait un hommage lyrique à Luchino Visconti, ou de ses remakes de La piscine de Jacques Deray (A Bigger Splash, 2015) et de Suspiria de Dario Argento, en 2018. Avec toujours ce cocktail détonnant entre des sujets choc et un traitement plutôt chic. Tiré d’un best-seller de Camille de Angelis, couronné de l’Alex Award en 2016, Bones and All s’aventure dans une zone particulièrement ténébreuse de l’humanité qui a souvent suscité les fantasmes les plus délirants : le cannibalisme, envisagé ici comme une excroissance d’un phénomène particulièrement cher au cinéma, le vampirisme. Avec cette sorte de cerise sur le gâteau que constitue le fait de dévorer ses victimes, ossature comprise ! D’où le titre… Une jeune fille en proie à cette malédiction héréditaire mystérieuse (Taylor Russell, la révélation d’Escape Game) décide de partir à l’aventure dans l’espoir de se mettre en paix avec elle-même et d’éviter de céder à des pulsions qu’elle s’avère impuissante à contrôler. Mais sa quête va lui valoir de croiser quelques-uns de ses semblables vers lesquels elle se trouve irrésistiblement attirée malgré elle. Parmi ceux-ci, un vieil homme énigmatique (Mark Rylance, inquiétant à souhait) qui l’a invitée à partager sa sinistre pitance et un garçon de son âge (Timothée Chalamet) avec lequel elle entrevoit une promesse d’avenir hypothétique.
Taylor Russell McKenzie et Timothée Chalamet
Bones and All s’appuie sur les conventions du Road Movie pour se livrer à une réflexion psychologique sur le cannibalisme considéré comme une véritable malédiction dont les victimes ont la capacité de se reconnaître entre elles. Tout l’intérêt du film réside dans son traitement particulier qui prend en quelque sorte le contrepied des classiques du cinéma de vampires devenu un genre à part entière sous la houlette d’Universal puis de la Hammer. Ses bourreaux mus par leurs pulsions ne sont en fait ni plus ni moins que des victimes condamnées à errer comme des âmes en peine, sans véritable opportunité d’échapper à la malédiction irrationnelle qui les frappe. Guadagnino applique à ce postulat propice au cinéma gore un traitement délibérément quotidien. En passant d’un état à l’autre, ses maudits tentent de fuir une malédiction qui les réduit à l’état de parias et d’étouffer leurs instincts meurtriers afin d’essayer de mener la vie la plus ordinaire qui soit en se fondant parmi leurs (presque) semblables. Chassez, le naturel, il revient au galop sous la forme de ces pulsions innées qui les oppressent et auxquelles ils sont impuissants à résister. Bones and All s’appuie sur un genre traditionnel du cinéma pour en tirer une parabole désabusée sur les errements de notre société en proie à l’intolérance et au sectarisme. Une réflexion existentielle au sein de laquelle l’homme apparaît plus que jamais comme un loup pour l’homme. Avec le repli sur soi que cela implique dans cette parabole magistrale sur les fractures de l’Amérique post-trumpiste livrée aux prédicateurs les plus opportunistes. La réflexion est abyssale.
Jean-Philippe Guerand
Timothée Chalamet
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