Film américain de James Gray (2022), avec Anne Hathaway, Anthony Hopkins, Jeremy Strong, Banks Repeta, Jaylin Webb, Ryan Sell, Andrew Polk, Tovah Feldshuh, Marcia Haufrecht, Teddy Coluca, Richard Bekins, Dane West, John Diehl, Jessica Chastain… 1h54. Sortie le 9 novembre 2022.
Anne Hathaway et Jeremy Strong
James Gray est sans doute avec Paul Thomas Anderson le réalisateur américain de sa génération le plus habile lorsqu’il s’agit de perpétuer les grands mythes du cinéma américain en les revisitant. Après une incursion prolongée sur le registre ô combien balisé du film noir, qui va de Little Odessa (1994) à The Immigrant (2013), il a élargi sa palette en s’essayant à l’aventure avec The Lost City of Z (2016), puis à la science-fiction avec Ad Astra (2019), retour à la case départ avec Armageddon Time où il évoque avec tendresse l’amitié de deux garçons dans le quartier new-yorkais du Queens dans les années 80. Quelques mois seulement après qu’Anderson se soit livré à un exercice identique dans Licorice Pizza, mais sur la Côte Ouest et avec quelques années de plus. Deux chroniques tendres et nostalgiques trempées d’autobiographie qui apparaissent sans doute comme les œuvres les plus intimes de leurs auteurs. À cette nuance fondamentale près qu’Anderson soulignait l’importance des amitiés adolescentes, là où Gray pointe le rôle essentiel qu’a joué sa famille unie pour préserver ses chances d’avenir. Avec ces figures tutélaires que représentent le grand-père fantasque incarné par Anthony Hopkins et ces parents dévoués qu’interprètent Anne Hathaway et Jeremy Strong. Et puis surtout Banks Repeta et Jaylin Webb, les deux jeunes interprètes dont la complicité sous-tend cette histoire, en soulignant l’importance du déterminisme social comme facteur de réussite.
Banks Repeta et Anthony Hopkins
À son habitude, Gray étaye son récit à travers la personnalité qu’il prête à ses jeunes protagonistes, mais va bien au-delà en exaltant le rôle fondamental que joue l’unité familiale comme facteur de protection originel. C’est autant en cela que ses deux jeunes protagonistes ne se trouvent pas à égalité pour affronter les aléas de la vie qu’en raison de leur origine sociale qui agit comme une fatalité incontournable. En puisant dans ses souvenirs personnels, le réalisateur entend rendre hommage à ses aînés qui lui ont évité de céder à ses pulsions les moins recommandables et de succomber à la petite délinquance comme son camarade que sa couleur de peau et son milieu familial dysfonctionnel vouent à des difficultés sans commune mesure qui hypothèquent son avenir malgré lui, faute de disposer des mêmes chances que ses camarades de classe. Un thème obsessionnel qui court d’ailleurs à travers les principaux films new-yorkais du réalisateur. Armageddon Time constitue en cela un authentique exutoire pour son auteur qui traite avec subtilité du poids du déterminisme et va même jusqu’à convier pour cela une figure éminemment symbolique en la personne d’un fils de famille promis à un destin hors du commun : Donald Trump, lequel n’est autre que l’héritier d’un des hommes les plus influents du Queens. En filigrane, le film propose une réflexion subtile sur le poids de l’éducation comme rampe de lancement dans une Amérique qui semble avoir cessé de croire aux vertus de la mixité sociale, mais s’obstine à vouer un culte démesuré à la réussite individuelle. D’où l’universalité des valeurs que défend ce film aussi édifiant que touchant.
Jean-Philippe Guerand
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