Film italo-suisso-français de Leonardo di Costanzo (2021), avec Toni Servillo, Silvio Orlando, Fabrizio Ferracane, Salvatore Striano, Roberto de Francesco, Pietro Giuliano, Nicola Sechi, Leonardo Capuano, Antonio Buíl, Giovanni Vastarella… 1h57. Sortie le 16 novembre 2022.
Silvio Orlando et Toni Servillo
Sur le point de se voir évacués et transportés dans un autre centre de détention, les douze derniers pensionnaires d’une prison de Sardaigne se voient accorder une sorte de sursis de quelques jours pour des “raisons administratives”. Pendant cette période où le temps semble comme suspendu, les gardiens et leurs protégés vont devoir faire contre mauvaise fortune bon cœur en se serrant les coudes. Affirmer que la prison est un décor familier du cinéma est un doux euphémisme, comme l’ont prouvé à des titres divers au fil de son histoire L’enfer est à lui (1949) de Raoul Walsh, Le trou (1960) de Jacques Becker, L’évadé d’Alcatraz (1979) de Don Siegel voire récemment encore Un triomphe d’Emmanuel Courcol et À l’ombre des filles d’Étienne Comar. Le film noir, certaines œuvres politiques et quelques documentaires ont consacré ce lieu d’enfermement comme un cadre de prédilection où toutes les passions peuvent s’exprimer en huis clos. Ariaferma joue de cet enfermement comme d’une scène aux facettes multiples où des individus doivent prendre leur mal en patience et partager une même épreuve circonscrite dans un espace unique et un laps de temps imposé qui reproduisent peu ou prou la fameuse règle des trois unités chère au théâtre. C’est l’une des particularités de la prison de réunir dans un lieu clos les détenus et leurs gardiens en créant une sorte de communauté contrainte et artificielle. Un postulat qui n’a pas cessé d’épuiser toutes ses ressources dramaturgiques et continue à stimuler l’imagination.
Silvio Orlando
Ariaferma est une histoire d’hommes portée par des acteurs remarquables, à l’instar de ses deux interprètes principaux : Toni Servillo, l’acteur fétiche de Paolo Sorrentino, et Silvio Orlando, lauréat du David di Donatello du meilleur acteur pour ce rôle. À cette nuance près que le cadre de ce film (créé de toutes pièces) n’implique pas les enjeux habituellement développés, à commencer par le plus évident : l’évasion dont le cinéma semble avoir épuisé les moindres facettes. Ces hommes sont attachés à leur prison dans laquelle ils ont échoué depuis des temps immémoriaux et qui en est venue à leur appartenir tant ils y ont vécu d’événements importants, en y passant bien souvent davantage d’années qu’à l’extérieur, dans ce monde de liberté qui ne veut pas d’eux, au point d’être devenu une véritable menace tant ils n’en plus ou pas les codes. Ils ont fini par s’attacher à leur lieu de détention et à le considérer comme une protection contre ce monde extérieur dont ils ont été bannis pour des raisons diverses. Leur seule préoccupation consiste à améliorer leurs conditions de vie au quotidien. Avec cette autre particularité singulière de la prison qui lie les détenus à leurs gardiens, ici contraints de cohabiter jour et nuit avant de sortir de leur cocon et de se résoudre à partir vers cet inconnu si déstabilisant. La singularité du regard que porte Leonardo di Costanzo sur ce microcosme est indissociable de l’ADN de ce documentariste diplômé d’anthropologie qui est passé à la fiction avec un sketch du film collectif Les ponts de Sarajevo (2014), puis L’intruse (2017). Il s’inscrit ici dans la lignée de ces maîtres du cinéma transalpin nourris par le Néo-Réalisme. Avec aussi quelques jolies échappées poétiques, mais jamais aucun des effets faciles inhérents au cinéma carcéral.
Jean-Philippe Guerand
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