Film français de Blandine Lenoir (2022), avec Laure Calamy, Zita Hanrot, India Hair, Rosemary Standley, Damien Chapelle, Yannick Choirat, Louise Labèque, Florence Muller, Lucia Sanchez, Éric Caravaca, Pascale Arbillot, Laurent Stocker… 1h59. Sortie le 30 novembre 2022.
India Hair, Louise Labèque
Laure Calamy et Rosemary Standley
Il y a des sujets dans l’air du temps. Tout juste sept semaines après Simone, le voyage du siècle, biopic bouffi qui entendait notamment célébrer la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse, avancée déterminante des mœurs initiée par une personnalité hors du commun qui avait réchappé aux camps de la mort et résisté à la phallocratie de la classe politique, voici Annie colère. Un an plus tôt, Audrey Diwan portait à l’écran L’événement d’Annie Ernaux qui décrivait de façon clinique le calvaire physique et psychique que représentait un avortement dans la France des années 60. Blandine Lenoir traite du même sujet au quotidien en 1974, en montrant comment ce combat politique n’a été que l’aboutissement des efforts déployés sans compter par des femmes mais aussi des hommes de bonne volonté bercés d’illusions post-soixante-huitardes qui ont organisé un véritable réseau d’avortements clandestins afin de pallier une inadaptation criante de la législation en la matière. Avec en guise de double peine la détresse des femmes privées de contraception pour qui une naissance non désirée pouvait entraîner une véritable tragédie à la fois économique et morale. C’est cette croisade silencieuse que décrit Blandine Lenoir en s’attachant à une sorte de société parallèle qui s’efforce de compenser les insuffisances d’une République française à la traîne sur le plan des mœurs. Les militants que met en scène ce film généreux sont dépeints comme d’authentiques résistants qui ont pris le maquis pour venir en aide à leurs semblables afin d’accélérer une évolution des mœurs devenue irréversible.
Rosemary Standley et Laure Calamy
Annie colère emprunte le registre du cinéma populaire pour décrire une nation prétendument évoluée dont les dirigeants apparaissent en décalage total par rapport à ce qu’on a coutume d’appeler le pays réel. Avec pour figure de proue Laure Calamy, une comédienne qui s’impose par son évidence en mère au foyer soucieuse de laisser à sa fille un monde meilleur que celui dans lequel elle a vécu. Blandine Lenoir choisit d’aborder ce sujet de société comme une croisade solidaire et généreuse menée par des citoyens de bonne volonté dans l’indifférence d’un pouvoir politique vieillissant et sclérosé au sein duquel les femmes n’ont pas ou peu le droit à la parole. Ce portrait de groupe convivial situé il y a près d’un demi-siècle projette sur notre époque un autre éclairage et permet de mesurer le chemin parcouru dans le domaine des mœurs. Derrière son militantisme mâtiné d’idéalisme, affleure un combat si lointain et pourtant si proche qui reflète avec une grande justesse cette société française sur laquelle le temps des grandes réformes sociétales semblait s’être figé depuis le Front Populaire. C’est parce qu’il adopte le point de vue des gens les plus ordinaires et assume ses bonnes intentions que ce film nous transporte en un temps pas si lointain où des femmes risquaient leur vie en refusant de la donner, parce que l’État se dérobait devant ses responsabilités. Annie colère est pourtant l’un des premiers films de fiction consacrés à ce combat essentiel depuis le célèbre L’une chante, l’autre pas (1977) d’Agnès Varda réalisé “à chaud”.
Jean-Philippe Guerand
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