Accéder au contenu principal

“À l’Ouest, rien de nouveau” d’Edward Berger



Im Westen nichts Neues Film germano-américano-britannique d’Edward Berger (2022), avec Felix Kammerer, Albrecht Schuh, Aaron Hilmer, Moritz Klaus, Edin Hasanovic, Daniel Brühl, Devid Striesow, Adrian Grünewald, Anton von Lucke, Tobias Langhoff, André Marcon, Thibault de Montalembert… 2h28. Mis en ligne sur Netflix depuis le 28 octobre 2022.





L’histoire, on la connaît. C’est celle racontée par Erich Maria Remarque dans son roman publié en 1929. Un chef d’œuvre pacifiste qui contraindra son auteur à se réfugier en Suisse pour échapper à l’ire des Nazis, lesquels alimenteront leurs autodafés de son livre. Dans la foulée, À l’Ouest, rien de nouveau a donné lieu à une adaptation cinématographique hollywoodienne due à Lewis Milestone et couronnée de deux Oscars majeurs (film et réalisateur) qui n’a tenu qu’une semaine à l’affiche des cinémas allemands où il était sorti en décembre 1930. Malgré l’universalité de son sujet (les horreurs de la guerre évoquées à travers la boucherie absurde de 14-18), ce classique de la littérature a dû attendre un demi-siècle de plus pour être à nouveau porté à l’écran dans une version assez médiocre de Delbert Mann passée inaperçue. Il aura donc fallu patienter plus d’un siècle pour que les Allemands s’emparent enfin de cette partie douloureuse de leur histoire qui a nourri leur rancœur et les a menés au Troisième Reich. Cette troisième adaptation choisie pour représenter son pays dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger témoigne d’une ambition artistique hors du commun, même si son esthétique ne vire jamais à l’esbroufe. Elle se déroule au cours de la dernière année du conflit et suit le calvaire de deux simples soldats embarqués dans cette boucherie absurde. Jusqu’à cette onzième heure du onzième du jour du onzième mois de 1918 choisie pour mettre un terme officiel à ce qui deviendra la Première Guerre mondiale lorsque le temps de la revanche sera venu.



Albrecht Schuh et Felix Kammerer



D’emblée, le réalisateur Edward Berger confirme la bonne impression laissée par son film Jack (2014) et la mini-série diffusée sur Arte Deutschland 83 (2015). Il commence par appréhender le champ de bataille comme une anomalie de la nature pour nous faire partager les jours sans fin de ces hommes terrés dans des tranchées qui ne s’en extraient que pour se livrer à des assauts suicidaires contre un ennemi qui vit exactement la même situation depuis des mois. Et puis, au cœur de ce cauchemar interminable, il y a cette amitié indéfectible entre deux jeunes gens qui perdent les ultimes illusions de leur jeunesse sous le commandement d’officiers revanchards, prudemment positionnés à l’abri du front. Cette situation absurde mise en scène avec une minutie de tous les instants et un luxe de moyens impressionnant repose plus particulièrement sur deux composantes artistiques majeures : la photo hallucinante du chef opérateur britannique James Friend, déjà associé au réalisateur sur la mini-série Patrick Melrose (2018), et la partition étouffante du compositeur allemand Volker Bertelmann qui sous-tend par son usage obsessionnel des percussions la tension de cette étouffante montée au calvaire. À l’Ouest, rien de nouveau trouve des échos prémonitoires de la guerre qui oppose aujourd’hui la Russie à l’Ukraine en dépeignant la barbarie dans toute son horreur. Jusqu’à cet armistice qui inspirera un baroud d’honneur aussi absurde qu’inutile à des officiers aveuglés par la haine et indifférents au sacrifice de leurs hommes. Au point de les transformer parfois malgré eux en monstres. Ce voyage au bout de l’enfer nous tend un miroir dépourvu de complaisance qui mérite tous les éloges et rend justice au chef d’œuvre universel dont il s’inspire. Il n'a d'ailleurs pas volé les quatre Oscars et les sept Baftas qui lui ont été décernés.

Jean-Philippe Guerand







Felix Kammerer et Albrecht Schuh

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract