Film français de Mia Hansen-Løve (2022), avec Léa Seydoux, Pascal Greggory, Melvil Poupaud, Nicole Garcia, Camille Leban Martins, Masha Kondakova, Elsa Guedj, Kester Lovelace, Sharif Andoura, Ema Zampa… 1h52. Sortie le 5 octobre 2022.
Pascal Greggory et Léa Seydoux
Son premier long métrage, Tout est pardonné (2007), Mia Hansen-Løve l’a réalisé à l’âge de 26 ans et n’a cessé depuis d’aborder des sujets que bon nombre de cinéastes ne traitent que quand ils atteignent l’âge de leurs personnages. Une démarche singulière qui lui permet aujourd’hui d’affirmer une maturité nourrie de ces expériences et de traiter avec la même aisance des tourments d’une jeune femme que campe Léa Seydoux et de la perte de lucidité de son père qu’incarne Pascal Greggory. Cette confrontation, la réalisatrice l’avait déjà esquissée à travers les rapports d’Isabelle Huppert et d’Édith Scob dans L’avenir (2016). Avec cette variable que constitue la gestion problématique de sa vie amoureuse, hier avec Romain Kolinka, aujourd’hui avec Melvil Poupaud. Un beau matin témoigne de la maturité d’une réalisatrice qui n’a jamais dévié de sa ligne et use du cinéma pour sonder les âmes qui l’entourent et mieux comprendre les tourments existentiels qui nous assaillent aux différents âges de la vie. Jamais sans doute elle n’a mis en scène aussi frontalement son propre vécu. Ce père en perte de repères que campe Pascal Greggory dans une composition déchirante, c’est avant tout le sien. Avec cette idée sous-jacente que le dernier lien ténu qui le rattache au réel est l’amour qu’il continue à vouer à son ex-femme (Nicole Garcia, toute en fêlures), au moment même où sa lucidité prend le large à jamais.
Léa Seydoux et Pascal Greggory
Habituée à traiter des sujets écrasants, Mia Hansen-Løve s’attache ici à la résurrection d’une femme qui s’est retrouvée trop longtemps tiraillée entre l’éducation de sa petite fille, la protection de son père et son travail de traductrice qui consiste à véhiculer le plus fidèlement possible la pensée des autres. Quitte à tirer à travers ces fonctions de nature sacrificielles un trait provisoire mais prolongé sur son droit au bonheur. Il émane d’Un beau matin un sentiment puissant de transcendance qui repose pour une bonne part sur la façon dont la réalisatrice filme Léa Seydoux, cheveux courts, exprimant des sentiments profonds qu’elle tente de dissimuler dans les situations les plus quotidiennes. Avec face à elle cet homme solide et rassurant que campe Melvil Poupaud parvenu désormais à une maturité qui lui vaut de pouvoir interpréter à peu près tous les personnages, avec un profond enracinement dans le quotidien. Un acteur discret et élégant que la réalisatrice dirige pour la première fois mais dont elle se demande aujourd’hui « comment j’avais pu attendre si longtemps pour le rencontrer » et affirme qu’« il aurait pu jouer dans tous mes films… » De l’alchimie miraculeuse de ces interprètes, Un beau matin tire une force de vie peu commune qui renverra chacun de nous à un recoin enfoui de son vécu. C’est le privilège des œuvres les plus universelles que de refuser de se dissimuler derrière de vains artifices. Malgré sa retenue et sa pudeur, ce film s’impose comme le plus bouleversant de sa réalisatrice à ce jour.
Jean-Philippe Guerand
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