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“Tori et Lokita” de Luc et Jean-Pierre Dardenne



Tori & Lokita Film belgo-français de Luc et Jean-Pierre Dardenne (2022), avec Pablo Schils, Joely Mbundu, Alban Ukaj, Tijmen Govaerts, Charlotte de Bruyne, Nadège Ouedraogo, Marc Zinga, Claire Bodson, Baptiste Sornin… 1h28. Sortie le 5 octobre 2022.



Pablo Schils, Joely Mbundu et Marc Zinga



Le cinéma constitue pour les frères Dardenne un authentique sacerdoce. Avec cette conviction corollaire selon laquelle il peut parfois changer le monde. Laquelle s’est concrétisée il y a quelques années quand l’impact de leur première Palme d’or s’est ensuivi au parlement belge du vote d’un “plan Rosetta” destiné à lutter contre la précarité en contraignant les entreprises de cinquante salariés et plus, ainsi que le secteur public, à recruter pendant une période minimum d’un an. Ces hérauts devenus d’authentiques héros de la lutte contre la mondialisation et les injustices sociales élargissent ce propos dans leur douzième long métrage en trente-cinq ans, Tori et Lokita, en s’attachant au calvaire enduré quotidiennement par les migrants originaires des pays défavorisés qui tentent d’échapper à leur condition en gagnant l’Occident, quitte à grossir les rangs d’un nouvel esclavagisme qui ne dit pas son nom. Ce sujet brûlant de l’intégration, les Dardenne l’abordent du point de vue d’une adolescente et d’un gamin soudés par leur désir commun de s’intégrer dans cette Belgique aux allures trompeuses de pays de cocagne, malgré sa grisaille et un accueil pas vraiment chaleureux.



Joely Mbundu et Pablo Schils



« Notre film racontera une amitié, une belle et intense amitié, non pas une amitié trahie mais une amitié sans faille », annonçaient les réalisateurs dans une déclaration d’intentions rédigée en août 2020, en préalable à sa mise en chantier. Deux ans plus tard, le Prix du 75e qui lui a été décerné à Cannes entérine cet altruisme exemplaire. L’universalité absolue du cinéma des frères Dardenne s’appuie sur une vision du monde associée à une observation attentive de l’individu dans ce qu’il possède de plus intime. Leur conception du film à thèse s’appuie avant tout sur des personnages emblématiques de leur condition et les rapports parfois délicats que ceux-ci entretiennent avec leur environnement d’un double point de vue social et humain. Tori et Lokita oppose ainsi la complicité indéfectible d’un tandem soudé par les aléas de la vie à une société moins disposée à leur ménager l’accueil le plus chaleureux qu’à les exploiter. Avec comme arme absolue pour ce tandem une détermination et une force de résilience à toute épreuve.



Joely Mbundu et Pablo Schils



À leur habitude, les Dardenne exacerbent les sentiments afin de nourrir une critique sociale qui évite les pièges du manichéisme, celle-ci s’exprimant à travers les plus infimes détails du quotidien. C’est d’abord d’une profonde humanité dont est pétrie leur conception du réalisme. Leur cinéma nous interpelle sans pour autant chercher à nous manipuler. Avec cet objectif assumé de nous aider à ouvrir les yeux sur le réel parfois sordide qui nous entoure et dont les médias traditionnels semblent avoir désormais renoncé à témoigner, quitte à figer une vision erronée du monde qui nous entoure. Jusqu’au moment où l’irruption d’un fait divers aussi tragique qu’éphémère vient nous interpeller sur nos devoirs de nantis. Ce film chaleureux, implacable et tragique nous invite à assumer nos responsabilités, sans baisser le regard face à une vérité qui dérange, mais ne succombe jamais ici à la tentation du misérabilisme ou de la manipulation, même si le choix des larmes peut se substituer en dernière extrémité à la tentation impudique que pourrait constituer chez d’autres un discours moralisateur.

Jean-Philippe Guerand






Alban UkajPablo Schils et Joely Mbundu

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