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“R.M.N.” de Cristian Mungiu



Film roumano-français de Cristian Mungiu (2020), avec Marin Grigore, Judith State, Macrina Bârlãdeanu, Orsolya Moldován, Andreï Finti, Mark Blenyes, Ovidiu Crisan, Zoltán Deák… 2h05. Sortie le 19 octobre 2022.





Lauréat de la Palme d’or à Cannes dès son deuxième long métrage, 4 mois, 3 semaines, 2 jours (2007), Cristian Mungiu est devenu un peu malgré lui le chef de file de la nouvelle vague roumaine qui s’est développée après la chute de Nicolae Ceaușescu, laquelle n’a cessé depuis d’engendrer de nouveaux talents et de multiplier les œuvres majeures. Sa caractéristique est de ne jamais tourner pour ne rien dire, ce qu’atteste son œuvre riche de tout juste une demi-douzaine de films en vingt ans. R.M.N. se déroule dans un village de Transylvanie où se côtoient différentes communautés, quand le recrutement d’ouvriers étrangers par une usine entraîne une brusque montée de la tension parmi les autochtones. Ce microcosme gagné par la xénophobie et un certain repli du soi est l’occasion pour Mungiu de traiter de la montée du populisme et du repli sur soi dans une Europe confrontée aux vagues successives de migrants en provenance de contrées moins favorisées. À son habitude, le réalisateur s’appuie sur cette communauté particulière pour traiter d’un sujet universel. Il arme son tir, ajuste sa cible, mais se garde toutefois de presser sur la gâchette, en nous laissant toute liberté d’imaginer comment la situation va évoluer. C’est accorder là une rare confiance au spectateur de la part d’un cinéaste qui se garde bien d’orienter notre regarder. R.M.N. est en quelque sorte un avertissement sans frais, mais non dépourvu de tensions.



Judith State et Marin Grigore



C’est à dessein que Mungiu situe son film en Transylvanie, cette région rendue célèbre par la légende des vampires et revendiquée à la fois par la Roumanie et l’empire austro-hongrois, mais aussi habitée par une importante communauté allemande, se caractérise par des disparités ethniques et religieuses propices au déchaînement des plus bas instincts sur fond de mondialisation effrénée. Un contexte éminemment favorable au populisme et au nationalisme qui peut être considéré par certains observateurs comme le laboratoire à ciel ouvert d’une Europe menacée par la tentation malsaine du communautarisme et du séparatisme. Le titre R.M.N. est le terme roumain qui sert à désigner un I.R.M. (Imagerie par résonance magnétique), ce scanner cérébral qui tente de détecter ce qui se passe sous la surface. C’est précisément la démarche du cinéaste qui s’est astreint à ne tourner qu’une prise unique de chaque plan et se garde bien de chercher à orienter notre regard. Résultat, ce film âpre diffuse un malaise insidieux en laissant dans son sillage une foule de questions auxquelles il laisse au spectateur le soin de répondre, tout en respectant son libre-arbitre. Un gage de maturité et de confiance exemplaire qui fait généralement défaut au cinéma trop calibré d’aujourd’hui. R.M.N. nous renvoie un reflet peu flatteur de nous-mêmes.

Jean-Philippe Guerand








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