Mi pais imaginario Documentaire chilo-français de Patricio Guzmán (2022) 1h23. Sortie le 26 octobre 2022.
Film après film, le réalisateur chilien Patricio Guzmán s’est imposé comme le mémorialiste d’un pays qui a vu son utopie démocratique annihilée par l’assassinat du Président Salvador Allende il y a près d’un demi-siècle. S’est ensuivie une interminable confusion qui a empêché ce pays de réaliser toutes les promesses dont il était porteur en provoquant par ailleurs une émigration massive de ses forces vives. Guzmán, lui, n’a jamais baissé les bras. Même en exil, il a poursuivi la lutte pour reconstruire la mémoire de son pays que les sbires d’Augusto Pinochet s’étaient acharnés à vouloir effacer des livres d’histoire. Résultat : une œuvre documentaire monumentale qui a souvent emprunté des chemins de traverse pour mieux évoquer les questions qui fâchent. Mon pays imaginaire regarde cette fois vers l’avenir à partir de l’émergence d’une nouvelle génération bien décidée à tirer toutes les leçons d’un passé obsessionnel et douloureux. Un sursaut salutaire qui s’est manifesté en octobre 2019 par un embrasement massif et a jeté un million et demi de personnes dans les rues de Santiago pour réclamer un renversement total et définitif de la table et un accès sans frein à cette démocratie qu’on a volée à leurs aînés il y a près d’un demi-siècle. C’est une formidable bouffée d’espoir qui souffle sur ce film pour une fois délibérément tourné vers l’avenir.
Mon pays imaginaire boucle en quelque sorte la boucle de l’œuvre du mémorialiste engagé Patricio Guzmán, en montrant une génération qui renoue spontanément avec les espoirs de ses grands-parents et veut croire en un monde meilleur capable de faire table rase de son passé en évitant ses erreurs de jeunesse. Le film prend le pouls du Chili d’aujourd’hui qui a appris de son passé pour revendiquer sa place à la table des grands, non seulement en Amérique du Sud, mais au sein du monde occidental. Cette révolution pacifique cultive quelques points communs avec le mouvement français des Gilets Jaunes, notamment par le nombre de personnes qui y ont perdu un œil, même si elle s’est soldée tragiquement par quelques dizaines de morts et des milliers de blessés. Cette fronde générationnelle, le réalisateur engagé l’observe avec ce même enthousiasme qui caractérisait ses œuvres de combat antérieures, mais aussi la nostalgie admirative de l’aîné. Avec pour codicille cette idée généreuse que l’histoire ne cesse de se répéter, mais que les utopies d’hier deviennent les révolutions de demain. En écoutant battre en temps réel le cœur de la jeunesse de son pays natal, Guzmán esquisse les contours d’une société en ébullition, bien décidée à trouver sa juste place au sein d’une nouvelle carte du monde aujourd’hui soumise à une lame de fond partie d’Ukraine.
Jean-Philippe Guerand
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