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“L’origine du mal” de Sébastien Marnier



Film franco-canadien de Sébastien Marnier (2022), avec Laure Calamy, Doria Tillier, Dominique Blanc, Jacques Weber, Suzanne Clément, Céleste Brunnquell, Véronique Ruggia Saura, Naidra Ayadi, Clotilde Mollet… 2h05. Sortie le 5 octobre 2022.



Laure Calamy et Jacques Weber



Ouvrière dans une conserverie, une jeune femme dont l’amoureuse (la trop rare Suzanne Clément) croupit en prison décide d’aller à la rencontre du père qui l’a naguère abandonnée. Face à ce riche magnat qui vit entouré de femmes dans une vaste demeure surplombant la mer, l’intruse va devoir parer pour cela les coups bas de ce gynécée peu accueillant qui s’était déjà réparti tacitement la fortune du maître des lieux. Mais les apparences sont parfois trompeuses… Cette charge au vitriol parfois sardonique s’inscrit dans la lignée de ces drames bourgeois sertis par Claude Chabrol dans les années 70 où excellaient Stéphane Audran et Michel Bouquet. Son scénario y recèle en outre plusieurs couches superposées qu’il faut franchir les unes après les autres pour accéder à une vérité toute relative. Dès lors, ce cache-cache qui se joue des apparences s’appuie sur la personnalité de ses protagonistes. Comme une sorte de partie de Cluedo qui inverserait le schéma classique de ce jeu de société en utilisant les crimes non en guise de déclencheur mais en forme d’aboutissement ultime. Sébastien Marnier connaît ses classiques, mais les revisite à sa façon, avec la complicité d’une bien jolie brochette de comédiennes qui entourent Jacques Weber en réincarnation moderne de Volpone confronté à des mantes religieuses.



Laure Calamy



Famille, je vous aime ; famille, je vous hais : la formule s’avère ici d’une pertinence rare. L’astuce de L’origine du mal est de brouiller les cartes dès le début, sans jamais chercher à nous donner une quelconque avance artificielle sur les protagonistes, comme dans trop d’intrigues policières alambiquées où l’enjeu consiste à identifier le coupable en découvrant son mobile. Il s’agit davantage ici d’adopter le point de vue de la fille perdue qu’incarne Laure Calamy et de compatir à son désir au fond légitime de se rapprocher de son père à la mort de sa mère. À cette nuance près que son apparition inopinée suscite une réaction épidermique de la part de son entourage, lui-même constitué de personnalités fantasques qu’incarnent Dominique Blanc en accro du shopping, Doria Tillier et Céleste Brunnquell en fille et petite-fille officielles du maître des lieux, jusqu’à une femme de chambre qui défend cette maisonnée comme si elle était membre à part entière de cette famille pour le moins dysfonctionnelle. Ce jeu de rôles aussi vénéneux que sophistiqué s’appuie sur une mise en scène élégante qui n’hésite pas à jouer sur le format du cadre et à juxtaposer jusqu’à cinq images différentes dans un même plan. Marnier y confirme avec talent les promesses de ses deux premiers films, Irréprochable (2016) et L’heure de la sortie (2019), sur le terrain pourtant balisé d’un genre qui démontre ici qu’il a toute sa place sur grand écran. Du moment qu’il sait faire preuve d’audace et d’inventivité.

Jean-Philippe Guerand








Laure Calamy

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