Film franco-belge de Philippe Faucon (2022), avec Théo Cholbi, Mohamed El Amine Mouffok, Pierre Lottin, Yannick Choirat, Omar Boulakirba, Mehdi Mellouk, Amine Zorgane, Alaeddine Ouali, Philippe du Janerand, Éric Paul… 1h22. Sortie le 12 octobre 2022.
Mohamed El Amine Mouffok et Omar Boulakirba
On ne répètera jamais assez combien le cinéma français prend son temps pour se confronter à son histoire. Là où les Américains ont traité à chaud de la Guerre du Vietnam en y situant des fictions aussi percutantes que Voyage au bout de l’enfer (1978), Retour, Le merdier, Apocalypse Now (1979) et avec un peu plus de recul Platoon (1986), Full Metal Jacket (1987) ou Né un 4 juillet (1989), le conflit algérien est resté longtemps un tabou national auquel es autorités françaises ont appliqué la plus redoutable des censures, en veillant à couper les robinets de financement après avoir censuré à chaud des films tels que Le petit soldat de Jean-Luc Godard, tourné en 1960, mais sorti trois ans plus tard, Muriel ou le temps d’un retour (1963) d’Alain Resnais et L’insoumis (1964) d’Alain Cavalier, interdit en février en 1965, sous prétexte qu’ils évoquaient cette guerre sans nom, sans jamais montrer ni les combats ni même l'Algérie évidemment inaccessible. Suivront une décennie plus tard des initiatives sporadiques telles que R.A.S. (1973) d’Yves Boisset et La question (1977) de Laurent Heynemann qui ne toucheront qu’un public déjà convaincu et pâtiront en fait d’une censure plus sournoise car économique. Il aura ainsi fallu plus de six décennies pour évoquer les risques endurés par les Harkis en prenant parti en faveur de la puissance coloniale contre leurs compatriotes algériens en lutte pour leur indépendance.
Mohamed El Amine Mouffok et Théo Cholbi
C’est avec son empathie naturelle que Philippe Faucon aborde aujourd’hui cet aspect du conflit algérien, avec le recul nécessaire et sans prêter le flanc à la polémique. À son habitude, le réalisateur œuvre dans la mesure, sans toutefois jamais reculer devant ses responsabilités. L’efficacité de son cinéma repose sur son empathie et deux vertus cardinales : le scénario, écrit ici à quatre mains par le metteur en scène avec son épouse, Yasmina Nini-Faucon, et un casting d’une grande justesse. Les Harkis aborde cette problématique délicate sans esprit polémique et sans occulter aucun des aspects spécifiques de cette situation qui a décidé des autochtones à se ranger aux côtés des Français plutôt que des indépendantistes algériens, pour se voir ensuite livrés à la vindicte de leurs compatriotes, puis traités comme des citoyens de seconde zone une fois rapatriés dans l’Hexagone. Faucon n’a pas son pareil pour humaniser ses personnages et leur éviter de sombrer dans les travers du manichéisme. Un travail de haute voltige défendu ici par des interprètes peu connus mais d’une justesse exemplaire, à l’image de Théo Cholbi, Pierre Lottin et Yannick Choirat qui confèrent à leurs personnages un précieux supplément d’âme, en résistant à la tentation qui consiste parfois pour certains à y aller de leur numéro, quitte à sortir de leur rôle. Avec toujours cette précieuse empathie qui constitue la spécificité de Faucon.
Jean-Philippe Guerand
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