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“Le pharaon, le sauvage et la princesse” de Michel Ocelot



Film d'animation franco-belge de Michel Ocelot (2020), avec les voix d’Oscar Lesage, Claire de La Rüe du Can, Aïssa Maïga, Serge Bagdassarian, Didier Sandre… 1h23. Sortie le 19 octobre 2022.





Considéré à juste titre comme le maître de l’école d’animation française contemporaine depuis le succès phénoménal de Kirikou et la sorcière (1998) et de ses suites, Michel Ocelot signe aujourd’hui une sorte de trio dont les fables revisitent des époques et des lieux qui lui sont particulièrement chers. Un détour comme il en a déjà accompli plusieurs au fil de sa carrière fertile. Trois contes d’origines et de traditions diverses qui reflètent la curiosité de cet artiste au regard tourné vers le monde dans ce qu’il a de plus universel. Le titre de ce film met en exergue les figures emblématiques de ces histoires empruntées à des civilisations résolument différentes et sur lesquelles ont œuvré des équipes techniques et artistiques elles-mêmes réparties dans des zones géographiques éloignées les unes des autres pour des raisons de financement : en l’occurrence la Belgique, l’Alsace et la Lorraine. Avec le réalisateur pour les guider et les stimuler à la manière d’un chef d’orchestre, en imprimant sa marque identifiable à tous les stades de ce processus de longue haleine. En confinant chacune de ces trois histoires dans un lieu de création spécifique, le créateur a trouvé une méthode magistrale pour varier les plaisirs et obtenir des rendus différents qui viennent servir son propos.





Pour avoir consacré six années à chacun de ses deux longs métrages précédents, Michel Ocelot affirme avoir voulu alléger ce processus de fabrication parfois pesant en variant les plaisirs et en s’offrant un intermède. Ce sont bel et bien trois films distincts qu’il nous offre en adoptant pour chacun d’eux une charte esthétique spécifique, mais sans jamais laisser le respect scrupuleux de la vérité historique brider son imagination ou sa capacité à rêver des époques et des civilisations plus étincelantes qu’elles ne l’ont sans doute jamais été dans la réalité. C’est cette capacité à fantasmer des mondes meilleurs en laissant son imagination vagabonder sur la foi de témoignages authentiques, qui constitue depuis toujours la marque de fabrique d’un cinéaste pétri d’humanisme dont la capacité d’émerveillement apparaît une fois de plus sans limites. La particularité esthétique du Pharaon, le sauvage et la princesse est de proposer une triple immersion dans des époques et des civilisations diverses : l’Égypte antique, l’Auvergne du Moyen-Âge et l’empire ottoman du XVIIIe siècle. Des choix fastes en termes d’imagerie et ponctués d’intermèdes assurés par une sorte de maîtresse de cérémonie en bleu de travail et foulard chic qui s’adresse à une foule de silhouettes sur fond d’échafaudages stylisés. Ce brassage des genres constitue l’un des signes de reconnaissances de Michel Ocelot, au même titre que le métissage nourrit son regard de citoyen du monde.





Le pharaon, le sauvage et la princesse est placé sous le double signe de la grâce et de l’éblouissement. C’est une plongée dans trois univers (et même quatre si l’on inclut les intermèdes) représentatifs de leur époque et de leur culture que Michel Ocelot réinterprète graphiquement et chromatiquement à travers le filtre de sa sensibilité personnelle. Malgré un travail de documentation préalable, il ne se positionne jamais dans la reproduction méticuleuse, mais plutôt dans une réinterprétation pétrie d’admiration qui est celle d’un artiste célébrant les influences qui l’ont nourri. C’est en restant fidèle à lui-même que l’artiste ingère, digère et restitue ce qu’il doit à tous ceux qui l’ont précédé dans cette voie. Mais sans jamais s’interdire pour autant d’imprimer sa marque de fabrique. Au point de susciter ce cri du cœur qui confine à une forme de reconnaissance suprême de la part du conservateur des antiquités égyptiennes du musée du Louvre, évoquant « une Égypte vue de l’intérieur, familière et aimée ». Ocelot ne se positionne délibérément jamais en imitateur ou en copiste. Son respect passe par une certaine transcendance et un respect scrupuleux de la vérité historique.





Là où d’autres se seraient contentés de reproduire à l’identique certains bas-reliefs antiques, l’auteur d’Azur et Asmar s’attelle à reproduire le quotidien de l’époque davantage que ses fastes les plus clinquants, car il aspire en priorité à doter ses personnages de chair et de sang. À la superficialité de l’écume, il préfère la profondeur de l’authenticité. Sa représentation personnelle s’avère d’autant plus saisissante qu’elle n’est entravée par aucun écueil historique superflu. Une licence artistique qui prend toutefois soin de ne jamais se montrer iconoclaste ou irrespectueuse. Ocelot reste constamment guidé par un esprit frondeur qu’il concilie avec un souci pédagogique aussi profond que sincère. À travers ses trois époques, Le pharaon, le sauvage et la princesse vient enrichir la vision du monde généreuse d’un créateur à qui les contraintes du cinéma d’animation et la lenteur de son processus de fabrication imposent un compte à rebours que l’âge rend obsessionnel. À 78 ans, Michel Ocelot en est de toute évidence plus que jamais conscient. Comme de la trace indélébile qu’il laissera dans l’histoire du cinéma d’animation.

Jean-Philippe Guerand









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