Film polono-italien de Jerzy Skolimowski (2022), avec Sandra Drzymalska, Tomasz Organek, Mateusz Kosciukiewicz, Lorenzo Zurzolo, Isabelle Huppert… 1h29. Sortie le 19 octobre 2022.
Sandra Drzymalska
C’est souvent des cinéastes les plus âgés qu’émanent les propositions les plus radicales. Frondeur un jour, frondeur toujours… Jerzy Skolimowski a été il y a soixante ans l’un des espoirs les plus prometteurs du jeune cinéma polonais avec son camarade Roman Polanski dont il vient de co-écrire le nouveau film, The Palace, à un moment critique de sa carrière où les féministes le confrontent à son passé sulfureux dans le but avoué de le réduire définitivement au silence. Passé par des hauts et des bas au fil d’une carrière plutôt cahotique, aujourd’hui âgé de 84 ans, Skolimowski signe avec EO (littéralement Hi-han) un film résolument atypique qui résonne toutefois en écho à un fleuron du cinéma français, Au hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson, par la nature de son protagoniste principal. Un âne y est le témoin, et souvent aussi la victime expiatoire, de quelques spécimens bien peu recommandables de l’espèce humaine auprès desquels il joue tour à tour le rôle de consolateur et de souffre-douleur. Au fil d’une errance syncopée, l’animal sert de révélateur à des humains trop humains, c’est-à-dire le plus souvent inhumains, qui laissent libre cours à leurs instincts les plus bas au beau milieu d’un univers impitoyable où tous les coups semblent permis.
EO est une parabole à la fois tendre et cruelle au fil de laquelle Skolimowski s’autorise les licences poétiques les plus audacieuses. Au-delà de la situation qu’il développe et qui n’apparaît souvent que comme un prétexte narratif pour passer d’un lieu et d’un milieu à un autre, parfois jusqu’à l’anodin, il s’attache à des microcosmes pas toujours très recommandables pour lesquels l’âne devient une sorte de… bouc émissaire ! Ce film gigogne peut s’interpréter comme le constat amer d’un artiste désabusé qui refuse d’accepter comme une fatalité le fait que ses contemporains n’aient pas retenu la leçon de leurs erreurs. Avec comme refuge ultime cette puissance des éléments qui finit par tout submerger sur son passage. Skolimowski se réfugie alors aux origines mêmes de la beauté du monde et tord le cou à la fiction, en la laissant se faire submerger par des images sublimes de la nature qui nous incitent à méditer sur nos responsabilités d’humains doués d’une raison somme toute illusoire. EO résonne à la fois comme un cri du cœur et un avertissement à l’usage de tous ceux qui préfèrent s’égarer dans des combats rabougris et mesquins que se battre pour sauvegarder une planète en sursis. Il émane de certaines images de ce film une puissance d’évocation qui n’est pas sans évoquer le syncrétisme de la fameuse trilogie de Godfrey Reggio, Koyaanisqatsi (1982), Powaqqatsi (1988), Naqoyqatsi (2002), sans jamais se dérober derrière ses responsabilités.
Jean-Philippe Guerand
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