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“Tout le monde aime Jeanne” de Céline Devaux



Film franco-portugo-belge de Céline Devaux (2022), avec Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Maxence Tual, Nuno Lopes, Marthe Keller, Samira Sedira, Lisa Mirey, Andrew Sanko Logan, Patty Hannock, Pedro Lacerda… 1h35. Sortie le 7 septembre 2022.



Laurent Lafitte et Blanche Gardin



De passage à Lisbonne pour vendre l’appartement de sa mère afin d’éponger ses dettes, Jeanne retrouve Jean, un camarade de lycée perdu de vue et envahissant qui se mêle de tout, à commencer par ce qui ne le regarde pas. Il réussit cependant à rendre le sourire à la jeune femme passablement désabusée… Avec Blanche Gardin et Laurent Lafitte à l’affiche, on pressent une comédie enlevée où tout est possible, à commencer par une provocation innée. Tout le monde aime Jeanne porte pourtant un regard passablement désabusé sur ses êtres en crise qui n’ont de sincère que leur culot et une irrésistible tendance à l’agressivité. À l’image de son titre délibérément trompeur, ce film gigogne confronte les apparences à la réalité la plus prosaïque. Ses personnages se ressemblent fondamentalement par leur foncière immaturité lorsqu’il s’agit de saisir leurs responsabilités à bras-le-corps. Il y a quelque chose de commun avec Woody Allen et Claire Brétécher dans cette chronique d’une femme dépressive qui a trop longtemps retenu ses émotions pour ne pas sombrer d’encore plus haut lorsque le vernis vient à craquer et la force à affronter ses responsabilités.



Laurent Lafitte



Céline Devaux joue en quelque sorte son casting contre son scénario en mettant en scène des personnages qui perdent pied face aux responsabilités qu’ils doivent endurer. En employant deux comédiens à contre-emploi de leur registre habituel, la réalisatrice confère à son scénario une tournure inattendue sur le registre de la gravité bien tempérée. C’est là où le choix comme cadre de la ville de Lisbonne sert son propos par la fameuse saudade qui y est associée, ce sentiment de langueur nourri de nostalgie, de mélancolie et de désir d’ailleurs dont Fernando Pesoa affirmait qu’il s’exprimait à travers la poésie du fado. Tout le monde aime Jeanne repose sur ce déséquilibre paradoxal qui condamne ses protagonistes à prendre des décisions qu’ils ont trop longtemps retenues, quitte à laisser leur situation se dégrader jusqu’à atteindre un point de non-retour, de crainte d’avoir à affronter leurs responsabilités. Un peu comme des adultes cramponnés à leur enfance. C’est là toute la profondeur de cette comédie façonnée de faux-semblants, mais parfois désopilante grâce à la personnalité de ses deux interprètes principaux projetés hors de leur zone de confort coutumière. Rien de tel qu’un clown pour nous donner envie de fondre en larmes.

Jean-Philippe Guerand




Laurent Lafitte et Blanche Gardin

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