Film français de Sébastien Betbeder (2022), avec Thomas Scimeca, Nicolas Belvalette (Usé), Jonathan Capdevielle, Léonie Dahan-Lamort, Marc Fraize, Jackie Berroyer, William Lebghil, Aloïse Sauvage, Béatrice de Staël… 1h35. Sortie le 14 septembre 2022.
Thomas Scimeca et Usé
Chez Sébastien Betbeder, tout peut arriver. Y compris qu’une bande de doux dingues prennent le maquis et en viennent à imaginer une nouvelle société. Le réalisateur n’aime rien tant que les marginaux et les francs-tireurs, mais il préfère en rire qu’en pleurer, tant il reste résolument optimiste contre vents et marées. Tout fout le camp flirte ainsi avec le fantastique dans ces plaines de Picardie qui recèlent tant de cadavres des guerres passées, à travers la rencontre d’un journaliste provincial avec un musicien misanthrope échaudé par la politique locale. Jusqu’au moment où le surnaturel s’invite parmi ces marginaux dubitatifs… Le réalisateur n’a pas son pareil pour plonger ses personnages dans des atmosphères singulières, en se démarquant de la réalité objective. Chez lui, le social passe souvent par l’étrange. Avec pour interprètes des personnalités atypiques. En l’occurrence ici le lunaire Thomas Scimeca, l’un de ses acteurs fétiches depuis 2015, mais aussi Nicolas Belvalette, connu comme musicien sous le pseudonyme d’Usé, qui s'est fait remarquer en se présentant comme candidat à la mairie d'Amiens lors des dernières élections municipales. Irruption de la réalité au beau milieu de ce qui ressemble à une pure fiction. Avec toujours aussi la présence de ces no man’s lands provinciaux qui situent topographiquement son cinéma dans une autre dimension où les critères sociologiques traditionnels n'ont plus lieu de s’appliquer.
On reproche souvent, à juste titre, au cinéma français d’être parisien voire urbain et de ne refléter en conséquence qu’assez mal la réalité sociologique française. Originaire de Pau, Betbeder a contribué à faire exploser ses propres repères en investissant des lieux peu représentés à l’écran, qu’il s’agisse de l’île lointaine de Marie et les naufragés (2016), du Groenland où il a situé plusieurs de ses films, ou aujourd’hui d’Amiens. Ces lieux, ce fin observateur les filme sans chercher à les sublimer ou à les dénigrer, en laissant toujours la réalité s’insinuer dans les plus minuscules interstices de la fiction. Il y a chez les Pieds Nickelés qu’il met en scène un solide bon sens terrien qui ne s’interdit jamais de porter un regard acéré sur le monde environnant où tout devient possible par leur simple capacité à le sublimer. Betbeder n’a décidément pas son pareil pour transcender le quotidien le plus grisâtre en une sorte d’univers parallèle dont les rues désertes suggèrent des événements irrationnels en lieu et place d’une misère qui se dissimule pudiquement au regard des autres. Sous les dehors d’une fable iconoclaste et plutôt souriante, Tout fout le camp distille quelques considérations lucides sur cette “France profonde” à laquelle les Gilets Jaunes ont tenté de donner une existence médiatique. Dès lors, il émane quelque chose de prophétique de cette comédie humaine ancrée dans le réel.
Jean-Philippe Guerand
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