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“Sans filtre” de Ruben Östlund



Triangle of Sadness Film suédo-germano-franco-britannique de Ruben Östlund (2022), avec Harris Dickinson, Charlbi Dean, Dolly de Leon, Zlatko Buric, Iris Berben, Vicki Berlin, Henrik Dorsin, Jean-Christophe Folly, Woody Harrelson, Arvin Kananian, Hanna Oldenburg… 2h29. Sortie le 28 septembre 2022.



Arvin Kananian et Woody Harrelson



Avec Sans filtre, le cinéaste suédois Ruben Östlund a réussi à égaler un exploit déjà réalisé par son compatriote Bille August en son temps avec Pelle le conquérant (1988) et Les meilleures intentions (1992) : remporter la Palme d’or à Cannes pour deux films consécutifs, cinq ans après The Square. Il s’attache cette fois à un périple nautique qui réunit un panel de personnages sur un bateau ivre dont le capitaine réfère vivre caché de ses passagers. Une comédie de mœurs narquoise qui débute comme une partie de plaisir, vire au jeu de massacre et s’achève à la manière d’un épisode de la série “Lost”. Ôstlund est un observateur redoutable qui ne ménage aucun de ses personnages et nourrit une vision très noire de l’humanité. Pas de quartiers ici pour ces sales gosses riches et célèbres livrés à eux-mêmes sur un yacht de luxe qui se révèlent plus haïssables et superficiels les uns que les autres, surtout lorsqu’ils se trouvent confrontés à une situation de crise et doivent manifester des réactions épidermiques… sans filtre. Du paradis à l’enfer, il n’y a que quelques miles nautiques que vont accomplir ces échantillons d’humanité bien peu recommandables. La croisière s'abuse !



Harris Dickinson



Film après film, Ruben Östlund affirme son style et affine son discours, à partir d’une matrice commune : la confrontation de divers protagonistes à une situation exceptionnelle qui fait office de catalyseur en les dévoilant dans leur nature la plus profonde. C’était déjà le cas dans Force majeure, le premier succès public du réalisateur où une avalanche servait de révélateur intime à un couple en crise. Sans filtre reprend ce schéma sous la forme d’un portrait de groupe avec drame et en variant les points de vue. Avec en son centre le couple glamour formé par le comédien britannique Harris Dickinson et l’actrice sud-africaine Charlbi Dean décédée le 29 août dernier à l’âge de 32 ans. Le scénario ne ménage aucun de ses personnages, pointe l’inanité du culte de la personnalité qui caractérise les influenceurs, ces oracles du tout-à-l'ego surdimensionnés par les réseaux sociaux, et observe le comportement de cette faune étrange comme des poissons à travers les parois opaques d’un aquarium dans lequel se seraient introduits clandestinement des piranhas. Östlund confirme ici sa vision pessimiste de la condition humaine avec une férocité qui suscite un rire jaune. Ce film grinçant conçu comme un jeu de rôles ou une émission de télé-réalité distille une absence d’empathie chronique qui contraint le spectateur à demeurer extérieur à cette allègre décadence. Une expérience qui s’avère d’autant plus déroutante dans le contexte d’un cinéma actuel gouverné par une empathie rendue factice par le dogme hollywoodien dominant. L’expérience n’est pas de tout repos, mais elle nous renvoie un reflet particulièrement peu flatteur de nos (presque) semblables.

Jean-Philippe Guerand









Zlatko Buric et Hanna Oldenburg

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