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“Rodeo” de Lola Quivoron



Film français de Lola Quivoron (2022), avec Julie Ledru, Yanis Lafki, Antonia Buresi, Cody Schroeder, Louis Sotton, Junior Correia, Ahmed Hamdi, Dave Nsaman Okebwan, Mustapha Dianka… 1h45. Sortie le 7 septembre 2022.



Julie Ledru



Julia revendique son statut de garçon manqué dans une banlieue sous adrénaline et parvient à intégrer une bande de motards adeptes du cross-bitume, un sport extrême pratiqué dans la clandestinité qui unit des têtes brûlées dans des conditions de sécurité souvent précaires. Pour son premier long métrage, Lola Quivoron a choisi de s’attacher à une communauté marginale qu’unit le goût du risque et une soif d’adrénaline inextinguible. Originaire d’Epinay-sur-Seine et diplômée de la Femis, elle traite ce sujet urbain sur un mode résolument naturaliste et ne s’autorise qu’une brève échappée dans une autre dimension. Comme une dérisoire invitation au rêve… Rodéo s’attache à des têtes brûlées qui partagent un goût du risque déraisonnable dans un univers codifié où les filles semblent condamnées à rester dans l’ombre et n’ont une chance de s’imposer que si elles renoncent à leur différence. Ce néo-western urbain décode des rapports plutôt âpres dans le cadre d’une périphérie anonyme qui évoque celle filmée naguère par Rebecca Zlotowski dans son premier film, Belle épine (2010), où rugissaient déjà les gros cubes comme les symboles dérisoires d’une virilité primaire. Avec en toile de fond la place subalterne dévolue aux filles dans ce monde qui flirte avec le danger et leur vaillante lutte pour se faire une (toute petite) place parmi une communauté plutôt machiste que misogyne voire phallocrate. Chez ces gens-là, la virilité des mâles dégage des relents d’adrénaline et les nuances n’ont pas droit de cité.



Julie Ledru



La réalisatrice trouve en Julie Ledru une interprète aussi fraîche que nature et s’attache à travers son personnage de garçon manqué buté à une véritable quête de reconnaissance au sein d’un univers terriblement fermé. Immersion en apnée dans le labyrinthe tortueux des sentiments parmi un environnement qui s’en méfie par-dessus tout. Soucieuse de conserver un regard documentaire sur la communauté qu’elle met en scène avec un souci de réalisme saisissant, Lola Quivoron a adopté le fameux format Cinémascope qui transcendait les grands espaces des westerns classiques. Au-delà du fracas des mécaniques, du goudron fumant, le petit monde qu’elle dépeint s’impose comme le vestige anachronique d’une chevalerie déchue qui évolue dans un monde parallèle où s’appliquent des règles communautaristes archaïques assez peu en phase avec la réalité du monde contemporain et ses multiples revendications identitaires. Ce constat se révèle d’autant plus sans appel qu’il s’appuie sur une observation minutieuse du milieu qu’il dépeint au sein duquel Lola Quivoron a pris le temps de se faire accepter, aussi bien comme observatrice qu’en tant que femme. Mission accomplie pour un premier film bourré de promesses qui laisse augurer de beaux lendemains de la part d’une cinéaste qui s’impose par son regard incisif mâtiné d’une sincère compassion.

Jean-Philippe Guerand









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