Accéder au contenu principal

“Plan 75” de Chie Hayakawa



Film nippo-franco-philippin de Chie Hayakawa (2022), avec Chieko Baishô, Hayato Isomura, Stefanie Arianne, Yumi Kawai, Taka Takao… 1h52. Sortie le 7 septembre 2022.






Traiter du grand âge au cinéma, c'est bien souvent manipuler une arme à double tranchant. D’un côté, ni les jeunes ni les vieux n’ont réellement envie d’assister à la déchéance irrémédiable des personnes âgées, alors même qu’on met tout en œuvre pour les soustraire à notre regard et les garder en vie le plus longtemps possible, parfois dans des condition indignes. De l’autre, le public cinématographique vieillissant (que la pandémie de Covid-19 a éloigné des lieux de spectacle, en impactant durablement la fréquentation) s’estime à juste titre sous-représenté à l’écran, sinon le plus souvent dans des comédies où les seniors sont incarnés par des stars sur le déclin ou témoignent d’une tonicité hors du commun comme dans la récente saga en devenir Joyeuse retraite ! La réalité, il faut la chercher ailleurs. Dans des œuvres plus artistiques que commerciales dont les intéressés sont loin d’être les plus friands. D’où l’audace de La gueule ouverte (1974) de Maurice Pialat, Import/Export (2007) d’Ulrich Seidl ou encore Amour (2012) de Michael Haneke qui se sont aventurés très loin dans la description de la déchéance associée au grand âge.






Plan 75 adopte une posture assez différente en mettant en scène un Japon imaginaire qui érige le droit de mourir en devoir civique pour conjurer le déclin inéluctable d’une société confrontée à une équation insoluble : la surabondance des seniors et la chute de la natalité. On retrouve là un thème traité sur le mode de la science-fiction dans le fameux Soleil vert (1973) de Richard Fleischer. Autres temps, autres mœurs pour un constat sans appel. La singularité de ce film consiste à s’appuyer sur une situation avérée pour se hasarder à suggérer une solution politique pour le moins audacieuse, laquelle repose elle-même sur le civisme légendaire de la population japonaise. À cette nuance près que c’est là où le bât blesse. La réalisatrice Chie Hayakawa, qui signe ici son premier long métrage à l’âge de 46 ans, en développant son sketch homonyme du film Anticipation Japon (2018), confronte ce sujet aux cas de conscience de trois intervenants de ce dispositif : une candidate à cette entreprise d’élimination de masse, un fonctionnaire chargé de recruter les candidats à l’euthanasie et une aide-soignante philippine dont ce programme questionne la foi et la vocation. 






D’un thème d’actualité traité sous une forme délibérément naturaliste, Plan 75 tire une réflexion profonde sur la valeur réelle de l’existence humaine, en déchirant le voile des apparences et en soulignant à quel point il est fondamental de dissocier le vieillissement biologique inéluctable de la personne humaine de l’expérience inestimable qu’elle a accumulée. Avec en filigrane les innombrables théories sur l’Au-Delà voire la réincarnation qui constituent le socle fondateur de certaines religions et autres croyances. Le processus gouvernemental mis en place dans Plan 75 exige en effet que ses cobayes expriment leur consentement en toute connaissance de cause, donc qu’aucune de leurs facultés cognitives ne leur interdise d’en appréhender le processus plutôt radical. C’est là où ce film apaisé nous entraîne du côté des fameux espaces infinis dont le silence effrayait tant Blaise Pascal. Par la multitude d’interrogations existentielles qu’il soulève sans le moindre didactisme, le propos profondément humaniste de Plan 75 nous concerne tous. C’est d’ailleurs le candidat choisi par le Japon dans la course à l’Oscar du meilleur film international 2023.

Jean-Philippe Guerand







Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract