L’ombre de Goya par Jean-Claude Carrière Documentaire franco-hispano-portugais de José Luis López-Linares (2022), avec Jean-Claude Carrière, Carlos Saura, Julian Schnabel, Nahal Tajadod… 1h30. Sortie le 21 septembre 2022.
Jean-Claude Carrière
Au crépuscule de son existence, le scénariste Jean-Claude Carrière a accompli un ultime pèlerinage dans l’Espagne à laquelle le reliaient tant de souvenirs. Avec pour guide le peintre Francisco de Goya auquel il avait rendu un hommage appuyé dans une scène onirique du Fantôme de la liberté (1974), ce monument surréaliste mis en scène par son mentor et complice Luis Buñuel au crépuscule de sa carrière. Au fil de ce pèlerinage, affleurent en pointillés les grandes heures de sa carrière, toute entière au service de la culture, de la beauté et d’un amour de l’art sans autres limites que sa générosité et sa soif d’émerveillement. L’auteur espagnol du Mystère Jérôme Bosch (2016), José Luis López-Linares, convoque à cette occasion d’autres grands témoins, du cinéaste Carlos Saura au peintre et réalisateur Julian Schnabel, en passant par l’épouse iranienne de Carrière, Nahal Tajadod, qui contextualise ce voyage à la rencontre d’une certaine perfection. Les uns et les autres attestent de la modernité subversive de Goya, artiste de cour qui est parvenu à imposer son style à travers les plus infimes détails d’une modernité bien tempérée, sans obsession superfétatoire de la perfection pour autant. C’est en homme d’une érudition digne du siècle des Lumières que Jean-Claude Carrière nous guide à travers ce labyrinthe qui s’achève là où tout a commencé : dans la maison natale du peintre dont les murs ont non seulement des oreilles, mais surtout des yeux.
Jean-Claude Carrière
Difficile de ne pas être bouleversé par la puissance symbolique de ce documentaire mémoriel, dévoilé en mai dernier au sein de la section mémorielle Cannes Classics, qui, comme les livres de Carrière, brasse une multitude d’idées et de thèmes pour constituer l’une des plus lumineuses introductions qui soient à l’œuvre d’un peintre si célèbre qu’il n’a pas fini de nous dévoiler ses mystères infinis depuis près de deux siècles. C’est tout le génie d’un puits de connaissance que de s’abreuver jusqu’à son dernier souffle à la source de ses maîtres. Avec, en prime, cet esprit d’escalier du scénariste qui consiste à passer du coq à l’âne, dans la grande tradition chère à ses maîtres surréalistes, en établissant des connexions parfois déconcertantes. Chez Carrière, le réalisme était systématiquement en liberté surveillée et toute idée en faisait bourgeonner d’autres, parfois éloignées, entre lesquelles sa prodigieuse érudition se chargeait de tisser des liens invisibles. L’ombre de Goya dont il est l’auteur à part entière restera à jamais comme la confession la plus intime d’un encyclopédiste ironique habité par le syncrétisme de l’art, le surréalisme et la passion des mots. Ses paroles sont de celles qui peuvent hanter jusqu’à l’obsession en nous enrichissant sans une once de forfanterie. Ce chantre de l’humour appartenait à une espèce qu’on pourrait légitimement considérer en voie de disparition et dont nous nous devons de préserver les précieux enseignements à l’usage de la postérité.
Jean-Philippe Guerand
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