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“Les secrets de mon père” de Véra Belmont



Film d’animation franco-belge de Véra Belmont (2021), avec les voix de Jacques Gamblin, Michèle Bernier, Arthur Dupont, Esteban Oertli, Gabin Guenoun… 1h14. Sortie le 21 septembre 2022.





Depuis quelques années, bon nombre de réalisateurs consacrés par la fiction voire le documentaire se sont lancés dans le cercle pas si fermé que ça de l’animation. À l’instar de Patrice Leconte avec Le magasin des suicides (2012) et de Zabou Breitman avec Les hirondelles de Kaboul (2019), c’est au tour de Véra Belmont de franchir aujourd’hui ce pas. Les secrets de mon père est l’adaptation de la bande dessinée homonyme dans laquelle Michel Kichka évoquait ses souvenirs d’enfance dans la Belgique des années 60, lorsque son frère et lui ont découvert le passé douloureux qui hantait leur géniteur, un homme discret et renfermé soucieux de ne pas gâcher l’insouciance de ses enfants en chargeant leur mémoire d’un poids trop écrasant… La première qualité de ce film réside dans sa simplicité et dans une esthétique qui n’a d’autre ambition que de se mettre au service de la destinée qu’elle illustre, dans la plus pure tradition de la fameuse ligne claire initiée par Hergé et ses héritiers de l’école belge. En outre, le choix de l’animation repose sur une démarche pédagogique de partage qui vise à confronter le jeune public à la Shoah, au moment où les derniers survivants s’éteignent un à un, comme autant de lumières susceptibles de perpétuer cette mémoire tatouée que les révisionnistes aimeraient tant effacer. Ce film constitue en cela un solide remède contre l’oubli auprès des jeunes générations, avec en filigrane la nécessité de léguer à la postérité un héritage en forme d’exorcisme. Pour que les leçons du passé évitent à l’avenir de laisser l’histoire bégayer.





Productrice à succès dans les années 60 et 70, de L’enfance nue (1968) de Maurice Pialat à La guerre du feu (1981) de Jean-Jacques Annaud en passant par Souvenirs d’en France (1975) d’André Téchiné et La guerre des polices (1979) de Robin Davis, après avoir réalisé le documentaire engagé Prisonniers de Mao (1977), Véra Belmont est passée à la fiction afin de témoigner de sa propre jeunesse militante dans Rouge baiser (1985). Trois autres films ont suivi jusqu’à l’avant-dernier, Survivre avec les loups (2008), dont elle a découvert a posteriori qu’il s’appuyait en fait sur une contrefaçon historique incroyable dont Les secrets de mon père constitue en fait aujourd’hui une sorte de contre-poison à l’usage de la postérité. Avec pour passeurs ceux qui deviendront les adultes de demain et en tant que tels les gardiens de notre mémoire. En s’adressant délibérément au jeune public, la cinéaste aborde une problématique délicate à partir des émotions et des sentiments d’un survivant confronté à la nécessité de transmettre son vécu à ses descendants. Une démarche pédagogique dictée par l’urgence qu’éprouvent les ultimes témoins à attester de la réalité de l’Holocauste niée par le poison révisionniste. Contre l’oubli. C’est la puissance et la noblesse de ce film qui témoigne sans réduire et bouleverse sans pathos, en réussissant ce tour de force dialectique qui avait inspiré Primo Levi : dire l’indicible, qui plus est à de futurs citoyens sur les épaules desquels reposera le monde de demain.

Jean-Philippe Guerand






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