Film français de Léopold Legrand (2022), avec Sara Giraudeau, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla, Damien Bonnard, Marie-Christine Orry, Olivier Rabourdin, Naidra Ayadi, Olivier Faliez… 1h32. Sortie le 28 septembre 2022.
Damien Bonnard et Benjamin Lavernhe
Le mélodrame est un genre extrêmement controversé qui a connu son heure de gloire pendant le premier demi-siècle du cinéma, à une époque où le public goûtait le plaisir des romans à l’eau de rose publiés sous forme de feuilletons dans les journaux. La radio, puis la télévision ont paré ce plaisir simple de techniques sophistiquées, en laissant moins de latitude à l’imagination. Seul l’opéra pérennise aujourd’hui cette tradition volontairement méprisée par notre époque cynique et surmédiatisée. Il faut donc une certaine audace pour aborder ce registre en voie de disparition. C’est toutefois le cas de Léopold Legrand qui se frotte délibérément à ce genre dans Le sixième enfant, à travers la rencontre de deux couples que tout sépare, mais dont l’un possède ce qui manque à l’autre. En l’occurrence un enfant en cours de gestation. Les uns en ont déjà cinq, ce qui fait de la grossesse de leur mère une véritable tragédie pour ces ferrailleurs dans l’incapacité d’assumer matériellement cette nouvelle responsabilité. Alors quand un couple de trentenaires en mal de progéniture leur propose d’adopter le nouveau-né, l’affaire semble entendue. Mais c’est compter sans la société dont l’arsenal législatif s’avère bien souvent incompatible avec les aspirations des uns et des autres.
Sara Giraudeau et Benjamin Lavernhe
Du culot, il en fallait pour se frotter dès son premier long métrage à un sujet aussi périlleux. Léopold Legrand (qui n’est autre que le fils du producteur de Ridicule, lui-même réalisateur d’une demi-dizaine de films dont Les bonnes intentions, en 2018) a misé sur une distribution de nature à transcender son sujet en traversant des situations extrêmes. Face au couple formé par Judith Chemla et Damien Bonnard dont le contraste physique s’avère saisissant, il a imaginé de placer celui plus fragile que constituent Sara Giraudeau et Benjamin Lavernhe. À la force rugueuse des uns, il oppose la vulnérabilité des autres et joue habilement de leurs contrastes comme de la frêle complicité qui s’établit entre eux, tout en montrant le doute qui s’installe et qui les ronge petit à petit. L’audace du Sixième enfant consiste à opposer la loi au désir, en inversant une fameuse équation pour démontrer que le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres… L’une des vertus cardinales de ce film est de ne jamais se dérober devant l’obstacle, sans nous infliger pour autant un pesant pathos. Le metteur en scène s’en remet pour cela à ses interprètes dont le choix constitue déjà la pierre angulaire de sa direction d’acteurs toute en retenue. Ce film sur le désir d’enfant réussit à émouvoir sans jamais pousser artificiellement le curseur vers la folie. C’est tout à l’honneur de ce film tout en retenue qui a obtenu quatre récompenses au festival d’Angoulême dont le prix du public.
Jean-Philippe Guerand
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