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“La cour des miracles” de Carine May et Hakim Zouhani



Film français de Carine May et Hakim Zouhani (2022), avec Rachida Brakni, Anaïde Rozam, Disiz (Sérigne M’Baye), Mourad Boudaoud, Gilbert Melki, Sébastien Chassagne, Léonie Simaga, Raphaël Quenard, Yann Papin… 1h34. Sortie le 28 septembre 2022.



Anaïde Rozam et Rachida Brakni



Il n’est qu’à voir le nombre de films qui prennent pour cadre le monde de l’école pour mesurer le malaise qui règne dans cet univers. Il suffit toutefois de revoir des œuvres aussi différentes que Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo, L’école buissonnière (1949) de Jean-Paul Le Chanois, Les sous-doués (1980) de Claude Zidi ou La vie scolaire (2019) de Mehdi Idir et Grand Corps Malade pour vérifier combien l’éducation reste une source d’inspiration intarissable du cinéma français. Gagné par les mauvaises habitudes du secteur privé, le service public se trouve désormais contraint de se défendre contre la concurrence en usant de méthodes pas toujours très orthodoxes. Résultat, quand un établissement scolaire flambant neuf menace de supplanter une école vieillotte de Seine Saint-Denis, sa directrice décide de faire confiance à une jeune enseignante pour jouer la carte de l’écologie et se distinguer ainsi de la concurrence. Sous les dehors d’un conte souriant, La cour des miracles (quel beau titre !) dresse l’éloge du système D à travers les initiatives que prend le personnel pédagogique pour vive avec son temps et rendre aux enfants et à leurs parents le goût d’une école qui soit à la fois inventive, pragmatique et joyeuse.



Anaïde Rozam, Disiz et Mourad Boudaoud 



Certains verront dans ce film une fantaisie charmante mais peu vraisemblable. Cette invitation au rêve est pourtant de nature à susciter des vocations, en ouvrant de nouvelles perspectives à tous celles et ceux que le système scolaire rebute quand il ne les exclut pas. L’utopie de La cour des miracles est de celles qui font chaud au cœur sans s’étourdir de poncifs et de lieux communs, car elle s’appuie sur un constat sociologique à l’épreuve des faits. Ce n’est pas un hasard si les réalisateurs Carine May et Hakim Zouhani ont baptisé leur école Jacques Prévert. Le poète croyait dur comme fer en un monde meilleur et aurait sans doute apprécié au plus haut point la bonne humeur de cette comédie de mœurs chaleureuse qui préconise des solutions pédagogiques frappées au coin du simple bon sens pour reconnecter l’enseignement à la réalité du quotidien. Les héros de ce film sont des enseignants épris de leur métier, certains guidés par la vocation, d’autres usés par la routine. Huit personnages en quête de hauteur qui vont retrouver confiance en eux et foi en cette mission devenue impossible qui consiste à accompagner au mieux des enfants et des adolescents vers l’âge adulte. Un véritable sacerdoce qui passe ici par l’idée de transmettre à chacune et à chacun en fonction de son attente et de ses désirs.



Gilbert Melki



La cour des miracles met à profit une grève pour imaginer une autre conception de l’enseignement. Non pas une utopie lénifiante, mais bel et bien une sorte d’école pilote idéale où chacune et chacun pourrait trouver son compte en s’épanouissant à son rythme et en restant connecté en permanence à la réalité la plus prosaïque. C’est dans cet esprit espiègle que les réalisateurs ont confié les rôles principaux de leur film à des acteurs de générations et aux parcours différents. Du vétéran campé à contre-emploi par Gilbert Melki à la directrice qu’incarne la trop rare Rachida Brakni, en passant par ces profs interprétés par Anaïde Rozam, Disiz, Mourad Boudaoud, Sébastien Chassagne, Léonie Simaga, Raphaël Quenard et Yann Papin qu’unissent un même amour de leur métier et un refus collectif de la résignation. Avec comme potion magique des montées d’adrénaline et comme élément fédérateur cette passion pour la transmission qui continue à animer les héritiers des fameux hussards noirs de la république chers à Jules Ferry et Charles Péguy. Sous la comédie affleure souvent le bon sens le plus élémentaire. Le film de Carine May et Hakim Zouhani est de ceux qui peuvent contribuer à faire bouger les lignes. Dans l’esprit du documentaire de Nicolas Philibert Être et avoir il y a tout juste vingt ans. Autres temps… mêmes mœurs ! Sinon qu’au plus fort de la crise qui agite les milieux éducatifs français, le succès éventuel de cette comédie pourrait contribuer à faire bouger les lignes en provoquant un sursaut collectif de salubrité publique. C’est tout le malheur qu’on lui souhaite.

Jean-Philippe Guerand






Yann Papin, Anaïde Rozam, Rachida Brakni
Sébastien Chassagne et Raphaël Quenard

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