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“Chronique d’une liaison passagère” d’Emmanuel Mouret



Film français d’Emmanuel Mouret (2020), avec Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne, Georgia Scalliet, Maxence Tual, Stéphane Mercoyrol… 1h40. Sortie le 14 septembre 2022.



Vincent Macaigne et Sandrine Kiberlain



Fin contempteur des élans du cœur, Emmanuel Mouret n’a que rarement dévié de sa ligne au cours de sa carrière. Pas moins d’une douzaine de films l’attestent. Le nouveau annonce la couleur. Chronique d’une liaison passagère s’attache à un couple qui s’aime sans vraiment penser au lendemain et se garde bien d’échafauder des projets d’avenir. Il se contente de profiter des meilleurs instants de la vie avec une charmante insouciance. Elle est une mère célibataire, lui un mari infidèle et ils partagent l’idée que le plaisir est plus important que l’amour. Au point de s’étonner eux-mêmes de leur complicité et de devoir faire face à une évidence qui va les submerger quand une intruse va s’immiscer parmi eux… On a pu comparer Emmanuel Mouret à des auteurs tels que Marivaux, Beaumarchais ou Musset par sa façon de tisser les fils du destin en redéfinissant en permanence les relations humaines et ce qu’on appelait naguère la Carte du tendre. Sans doute son élégance y est-elle pour beaucoup. Dans ses films, les personnages s’expriment avec élégance et même s’il se méfie des mots d’auteur trop ostentatoires, parce qu’ils annihilent bien souvent l’émotion au cinéma là où ils l’exaltent volontiers au théâtre, ce digne héritier d’Éric Rohmer accorde une confiance absolue au langage.



Vincent Macaigne et Sandrine Kiberlain



Chronique d’une liaison passagère balise par son titre les enjeux de son intrigue. Sinon qu’il définit aussi l’approche qu’ont les protagonistes de leurs relations, avec son avant et son après. Le cinéma se révèle toutefois le plus fort et Mouret, qui est par ailleurs un fin bâtisseur d’intrigues, laisse le hasard s’immiscer dans son récit dont il conserve la pleine maîtrise, en nous gratifiant d’une fin ouverte qui laisse au spectateur le plaisir d’imaginer la suite. La mise en scène s’appuie pour cela sur la personnalité de ses deux interprètes principaux et une complicité qui s’appuie autant sur leurs points communs que sur leurs différences. Vincent Macaigne, Mouret l’avait déjà dirigé dans son film précédent, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, où il formait un couple bouleversant avec Émilie Dequenne. Sans doute le cinéaste se retrouve-t-il un peu dans la maladresse étudiée de cet acteur subtil capable de passer du rire aux larmes en quelques phrases, sans même donner le sentiment de s’en rendre compte. Jamais il n’essaie toutefois de le faire passer pour ce qu’il n’est pas : un Don Juan.



Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne et Georgia Scalliet



Alors, face à un homme fragile et pince-sans-rire qui séduit davantage par son être que par son paraître, cet émule français de Woody Allen conscient du poids des mots place en Sandrine Kiberlain une actrice solaire faussement sûre d’elle et exploite les moindres ressources de ce couple si vraisemblable, la maladresse de l’un suscitant la tendresse de l’autre, quand sa fausse assurance à elle le fascine autant qu’elle le tranquillise, lui, par son côté terre à terre si trompeur. Ici intervient le talent d’Emmanuel Mouret dans le domaine ô combien délicat de la direction d’acteurs. Sur le fil de l’émotion, il excelle à saisir d’infimes moments de vérité et à introduire une irrésistible fantaisie au sein de cette romance dont il exalte les décors avec un soin particulier, qu’il s’agisse d’un jardin ou d’un musée. Comme s’il craignait qu’on ne reproche à son film de ne pas être suffisamment cinématographique et de lorgner du côté des chambres de bonne filmées par certains membres de la Nouvelle Vague et volontiers critiquées par leurs détracteurs. Son utilisation étudiée de l’espace atteste du contraire par sa façon d’ordonner les plus infimes mouvements du corps selon une dynamique impeccable.

Jean-Philippe Guerand







Georgia Scalliet

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