Film américain d’Andrew Dominik (2022), avec Ana de Armas, Bobby Cannavale, Adrien Brody, Julianne Nicholson, Caspar Phillipson, Toby Huss, Sara Paxton, Eden Riegel, David Warshofsky, Lily Fisher, Colleen Foy, Catherine Dent… 2h47. Mise en ligne le 28 septembre 2022 sur Netflix.
Ana de Armas
Au début, il y a une star éternelle, Marilyn Monroe née Norma Jeane Baker dont la romancière Joyce Carol Oates a revisité la vie dans “Blonde” en l’an 2000. Un best-seller foisonnant autour duquel le grand écran a tourné depuis sa parution, sans trouver par quel biais l’aborder, tandis que le petit l’adaptait dans l’urgence sous la forme d’une mini-série sans âme réalisée par Joyce Chopra et interprétée par la comédienne australienne Poppy Montgomery. Il convenait d’associer cette prose luxuriante à un cinéaste animé d’un regard susceptible de la respecter voire de la transcender, mais aussi à une interprète qui s’approprie cette icône éternelle. Avec cet écueil majeur que constitue l’immortalité de cette égérie à la blondeur artificielle qui a irradié les années 50 pour demeurer omniprésente dans la mémoire des décennies suivantes et rallier à sa cause les générations successives, en se confondant avec cet adjectif qui la qualifie pour l’éternité : blonde. Côté mise en scène, le Néo-Zélandais Andrew Dominik n’a signé que trois films mais au moins un chef d’œuvre, L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007), et a présenté en compétition à Cannes Cogan : Killing Them Softly (2012). Dix ans de réflexion plus tard, il revient avec Blonde et une interprète révélée en France par Denis Villeneuve dans Blade Runner 2049 (2017), l’actrice cubaine Ana de Armas. Une brune brûlante pour incarner une blonde incendiaire qui éprouve un besoin démesuré de se faire aimer.
Ana de Armas
Blonde est une sorte d’anti-Biopic psychanalytique qui navigue entre les morceaux émergés de l’iceberg que fuit l’existence tragique de Norma Jean Baker, élevée par une mère seule qui lui fait miroiter l’existence d’un père riche, célèbre, mais inaccessible. Un traumatisme fondateur qui conduira la jeune femme à appeler ses amants “Papa” comme pour combler ce manque cruel. Devenue Marilyn, la star s’obstine pourtant à sourire à la vie en assumant les aléas qui vont de pair avec son statut d’objet lumineux du désir, que ce soit entre les bras musclés du champion de base-ball Joe di Maggio (Bobby Cannavale) ou face à l’esprit bouillonnant du dramaturge Arthur Miller (Adrien Brody). Avec aussi ce statut d’objet sexuel qu’elle a subi à ses débuts entre les bras de deux dandys cyniques et désabusés qui ont abusé d’elle jusqu’à la violer sans relâche et à monnayer ses charmes. Andrew Dominik dresse un portrait très noir de ce destin chagrin, alterne couleur et noir et blanc, joue sur la succession de formats différents et souligne le contraste saisissant entre une jeune femme qui s’obstine à sourire et sa brève existence qui affiche tous les stigmates d’une inéluctable montée au calvaire. Jusqu’à sa liaison fatale, discrètement suggérée, avec le président John Fitzgerald Kennedy, et son irréversible addiction médicamenteuse.
Ana de Armas
Andrew Dominik se concentre sur l’essentiel : son sujet. En l’occurrence ce personnage féminin omniprésent qu’incarne l’actrice cubaine Ana de Armas qui s’empare de son personnage de l’intérieur et avec une hargne qui force le respect. On est loin ici des représentations antérieures de l’icône à l’écran où la ressemblance était plus physique que psychologique, qu’il s’agisse de Catherine Hicks dans le téléfilm Marilyn une vie inachevée (1980), Susan Griffiths dans Marilyn and Me (1991), Kelli Garner dans la mini-série The Secret Life of Marilyn Monroe (2015) voire la pourtant remarquable Michelle Williams dans My Week With Marilyn (2011) de Simon Curtis. Blonde s’attache au statut même de la star, cette déification païenne qui broie l’humain et le jette en pâture à ses presque semblables. Le virtuose Andrew Dominik filme Ana de Armas comme peu de cinéastes ont traqué une actrice et réussit cette prouesse qui consiste à saisir au passage quelques bribes de sa vie intérieure, en montrant le fossé qui se creuse entre le lumineux objet du désir brisé par deux grossesses sans lendemain et les réactions irrationnelles qu’il suscite au sein d’une Amérique puritaine, qui plus est contemporaine du Maccarthysme et de la Guerre froide. Blonde est un film prodigieux et virtuose qui refuse de réduire Marilyn à son image vulgarisée pour dresser le portrait bouleversant d’une femme qui essaie de trouver un sens à sa vie en jouant de son charme et de sa séduction pour se ménager une place sous le soleil d’Hollywood. Soixante ans après sa mort, son rayonnement reste immortel.
Jean-Philippe Guerand
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