Cenzorka Film slovaquo-tchéquo-ukrainien de Péter Kerekes (2021), avec Maryna Klimova, Iryna Kiryazeva, Lyubov Vasylyna, Vyacheslav Vygovskyl, Oleksandr Mykhailov, Irina Tokarchuk, Raisa Roman, Tetyana Klishch… 1h33. Sortie le 14 septembre 2022.
Voici un film pour le moins hors du commun qui, sous prétexte d’accompagner les pensionnaires d’une prison pour femmes d’Odessa, dresse le portrait de groupe d’une communauté soudée qui partage au moins deux caractéristiques : Ces femmes ukrainiennes ont échoué derrière les barreaux (en temps de paix, précisons-le) pour des crimes de droit commun et sont détenues avec leurs enfants en bas âge, le plus souvent nés en détention. Loin d’avoir choisi une facture de type documentaire, Péter Kerekes soigne la forme de son film jusqu’aux plus extrêmes confins de l’esthétisme. Comme si la sainteté avait élu domicile dans ce lieu clos dont les pensionnaires n’ont bien souvent commis pour crime qu’un acte de survie en se débarrassant une fois pour toutes d’un conjoint violent qui aurait sans doute pris le dessus tôt ou tard. Il n’est toutefois pas question à proprement parler d’exaltation de l’autodéfense dans 107 Mothers, mais plutôt d’une sorte de havre dédié à la sororité à travers ce point commun que représente la maternité. Le réalisateur brouille d’ailleurs à dessein les cartes en changeant les patronymes de ces femmes pour parer cette histoire de quelques concessions à la fiction qui lui permettent de filmer parfois certaines de ses protagonistes comme des saintes. Autre élément constitutif de cette stratégie : le soin méticuleux accordé à l’esthétique. La plupart des séquences sont éclairées comme de véritables tableaux. Sans tape-à-l’œil. Juste avec un souci de donner à un lieu confiné qui pourrait ressembler à l’enfer une image contradictoire de havre de paix. Cette prison est un royaume dont les occupantes se serrent les coudes en se préservant des atteintes du monde extérieur.
107 Mothers est une œuvre habitée par deux vertus cardinales : la sororité et la maternité qui protègent ces femmes du monde extérieur en transformant leur lieu de détention en une sorte de gynécée où les rapports entre les détenues et leurs geôlières reposent sur deux vertus rarement en usage en prison : la confiance et la solidarité. C’est parce qu’elles partagent des destins qui ont tendance à se ressembler que ces mères deviennent tributaires les unes des autres et élèvent leur progéniture dans un élan commun. Avec la complicité bienveillante des gardiennes qui manifestent à leur égard un authentique élan de compassion voire de tendresse, et pour liens ces enfants qui incarnent l’avenir et endossent leurs espoirs d’un avenir plus apaisé pour les femmes, dans un contexte qui peut légitimement paraître archaïque de notre point de vue d’Occidentaux nantis confrontés à la lame de fond que représente le mouvement #MeToo. En revanche, l’univers carcéral au sein duquel se déroule cette aventure humaine affiche paradoxalement les signes extérieurs d’un microcosme préservé propice à devenir un véritable cocon pour ces femmes maltraitées par des mâles dominateurs qui n’ont pas vu venir la force tellurique qui applique la tectonique des plaques aux rapports entre les sexes. 107 Mothers nous montre un univers carcéral qui protège autant qu’il isole, en donnant un nouvel élan à ses pensionnaires stigmatisées par une société violente dont les prisons font parfois figure de refuges.
Jean-Philippe Guerand
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