Accéder au contenu principal

“Nope” de Jordan Peele




Film américain de Jordan Peele (2022), avec Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Brandon Perea, Michael Wincott, Steven Yeun, Wrenn Schmidt, Keith David, Devon Graye, Terry Notary, Barbie Ferreira, Donna Mills, Osgood Perkins, Eddie Jemison… 2h10. Sortie le 10 août 2022.



Daniel Kaluuya



Jordan Peele est un phénomène comme le cinéma hollywoodien en a le secret. Ses deux premiers longs métrages, Get Out (2017) et Us (2019) l’ont imposé comme un artiste audacieux et rentable, sous la houlette du désormais légendaire producteur Jason Blum (plus de deux cents titres au compteur en une vingtaine d’années pour ce digne héritier de Roger Corman). Avec à la clé pour Peele un Oscar du meilleur scénario original en 2018 et plus d’une centaine de prix dès son baptême du feu en tant que réalisateur. Des débuts tonitruants qui évoquent irrésistiblement ceux de M. Night Shyamalan sur un registre au début assez proche. Avec son troisième film, Nope, Peele assume sa filiation avec un autre prodige du cinéma américain, Steven Spielberg. Il s’y attache aux phénomènes paranormaux qui surviennent dans un ranch niché au fin fond d’un ravin de la vallée de Santa Clarita que tentent de faire survivre tant bien que mal un frère et une sœur. Mais lorsque se produisent des phénomènes surnaturels, ils vont devoir tout mettre en œuvre pour protéger coûte que coûte leur héritage en danger. Quitte à faire alliance avec des inconnus pour affronter des menaces venues d’ailleurs et à endurer des risques insensés afin d’identifier la nature des phénomènes irrationnels dont ils sont les témoins impuissants depuis leur fragile paradis coupé du monde…



Steven Yeun



À son habitude, Jordan Peele excelle dans la montée de la tension et dans la caractérisation de ses protagonistes. Il s’en remet pour cela à un acteur qu’il a lui-même contribué à faire émerger du rang, Daniel Kaluuya, en interprète idéal des causes les plus désespérées qui sait s’ébahir comme personne des phénomènes incompréhensibles dont il est témoin, mais s’avère tout aussi prompt à les affronter avec son bon sens et un soupçon de système D. Comme un personnage échappé des Goonies (1985) de Richard Donner qui aurait grandi sans renoncer tout à fait à sa part d’innocence. Le talent du metteur en scène réside dans sa capacité à nous capturer dans sa toile en rendant crédibles des événements dont la conjonction corrobore l’existence d’une activité extra-terrestre, en nous renvoyant aux plus grands classiques du genre. Nul besoin ici d’une folle surenchère technologique pour nous convaincre de la réalité des événements auxquels nous assistons. Peele filme ces phénomènes étranges venus d’ailleurs avec beaucoup de poésie et sans précipitation inutile.



Daniel Kaluuya, Keke Palmer et Brandon Perea



Comme dans les deux précédents opus du cinéaste, la vraisemblance se repaît des événements les plus infimes et nous entraîne dans une autre dimension, en s’arrimant aux plus grands classiques du cinéma de science-fiction, de La chose d’un autre monde (1951) de Christian Nyby et Howard Hawks à Rencontres du troisième type (1977) de Steven Spielberg, en passant par Planète interdite (1956) de Fred M. Wilcox. À cette nuance près qu’il joue avec maestria du pouvoir de suggestion du cinéma sans abuser des armes traditionnelles en usage à Hollywood, à commencer par les effets spéciaux, et s’ingénie en priorité à créer une atmosphère davantage qu’à pratiquer la moindre surenchère de nature à rompre le charme de cette invitation au voyage venue d’ailleurs. Nope y gagne considérablement en efficacité, le film ne cherchant jamais à se lancer dans de vaines explications, mais plutôt à nous inclure au sein d’une réalité insidieuse qui y gagne une singulière authenticité. Nope s’adresse à tous ceux qui ont rêvé un jour aux Ovnis et aux extra-terrestres. En respectant notre pouvoir d’imagination et en entrebâillant l’immensité de ces espaces infinis dont le silence éternel effrayait tant Pascal. Une invitation d’une telle élégance ne saurait se refuser. Nope répond précisément à la définition de ce qu'on appelle un classique instantané.

Jean-Philippe Guerand








Jordan Peele dirigeant 
Daniel Kaluuya

et Keke Palmer sur le tournage de Nope

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract